Chapitre 5

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Comme chacun le sait, les meilleures mauvaises idées nous traversent souvent l'esprit lorsqu'on est désœuvré.

Bingo !

Chez moi, ça s'est vérifié ce soir, alors que je surfais mollement sur internet, recroquevillée sur mon canapé.

Allons, ma Belle, débusquer ton prince charmant sur un réseau social.

Procédé digne d'une adolescente pré-pubère. Moi et mes onze ans et demi correspondons parfaitement au profil. D'abord !
Le moteur de recherche me le livre sur un plateau, avec en prime une photo de son sourire éclatant alors qu'il joue avec un chien. Je la contemple un long moment en soupirant. Comment ai-je pu laisser passer ma chance avec lui, qu'est-ce qui cloche chez moi ? Son profil sécurisé ne laisse filtrer aucune information personnelle. Je peste en cliquant sur tous les onglets. Mon doigt dérape sur la messagerie privée alors que mon cerveau en est encore à se demander si je ne vais pas aggraver mon cas. Trop tard la fenêtre est ouverte. Même si je ne tape rien, je suis persuadée qu'il va trouver la notification d'un nouveau message. La honteuu ! J'envisage deux secondes de déménager en Australie.

Bon, puisqu'il va recevoir un message, autant lui écrire quelque chose. Je tourne quinze fois dans ma tête la manière la plus naturelle d'entamer la discussion. Il faut qu'elle soit légère, mais en même temps pas trop pour ne pas lui laisser croire que cela n'a aucune importance pour moi. Mais pas trop pénible pour plomber mes tentatives ni trop larmoyante parce que la pitié non merci, etc.

Une demi-heure que je me triture les méninges pour écrire « Salut Yann ». Peut mieux faire. Ce n'est pas comme si j'avais des facilités à l'écrit avec une formation littéraire que même ce lolilol de Zola m'envierait... bref, je suis dans la merde.
Je soupire et suis à la limite de m'étrangler avec le cordon d'alimentation de mon ordinateur quand une petite notification en rouge s'affiche dans mes nouveaux messages. J'ouvre immédiatement sans vérifier l'expéditeur.

« Lili,
Je n'arrive pas à t'en vouloir, pas plus que je n'arrive à m'arrêter de penser à toi. Tu es la femme de ma vie, je le répète car finalement c'est la vérité et pas un moyen de te garder avec moi. J'ai merdé, tu n'es pas la seule responsable, même si j'ai bien vu que tu préférais tout prendre sur le dos pour te débarrasser de moi. Sauf que je ne veux pas que tu te débarrasses de moi. Je t'aime, je suis prêt à accepter que ton affection ne soit pas de la même nature que la mienne, parce que je suis sûr qu'avec le temps, on y arrivera. Permets-moi qu'on en discute.
Marc. »

Non, mais nooon !
Je ne veux plus discuter avec lui. Ce genre de message, c'est le piège par excellence. Y céder par faiblesse ou parce que ça nous fait culpabiliser, c'est le meilleur moyen de replonger dans une histoire qui n'est pas faite pour nous. C'est aussi chiant à désamorcer qu'une bombe que l'on découvre dans son placard à chaussures. On veut s'en débarrasser au plus vite pour épargner ses pompes préférées, en ignorant comment gérer le truc sans tout faire péter.
Si j'ai accepté de faire profil bas dimanche soir, ce n'est pas pour jouer la revanche dès qu'il siffle le rappel. Ses mots ont été durs parfois d'une extrême violence. Même moi qui suis habituellement assez prompte à la rébellion malgré mes envies de fuite, j'ai accepté qu'il me parle comme à une merde. C'est fini. Je n'ai pas cherché à le blesser par dépit. Lui ne s'est pas gêné. Ça m'a déçue et éclairée sur ce trait désagréable de sa personnalité. Je n'ai pas l'esprit rancunier. Mais là, je commence à en avoir assez de m'excuser pour ménager sa susceptibilité.

Double nooon !
Je m'aperçois qu'avant d'ouvrir le message de mon ex, croyant réduire la fenêtre, j'ai envoyé celui que je destinais à Yann sans l'avoir terminé. Il est vraiment temps que je me finisse à l'alcool fort. Je fais le point de mon mini bar. Ce que j'y trouve me fait pousser un soupir d'exaspération. On vient d'atteindre le triple nooon, là !
Va pour une cuite au jus de tomate.

Pour éviter une nouvelle erreur de manipulation, je décide de préparer une réponse pour Marc sur une page word, en m'assurant d'être la plus limpide possible. Le choix soigné des mots et les vingtaines de corrections finissent par accoucher d'un texte convenable.

« Je suis vraiment désolée, je n'ai pas de sentiments pour toi, et je n'en aurai jamais. Je n'ai pas réussi à tomber amoureuse de toi, malgré mes tentatives et tout l'amour que tu me portes. Désormais, nous devons avancer séparément. Même le fait d'entretenir une amitié est illusoire. Tu auras toujours des attentes que je ne saurai combler. C'est malsain. Ta réaction m'a blessée, et je n'ai pas envie de te pardonner pour l'instant. Ça viendra, mais pas maintenant. S'il-te-plaît, ne me déteste pas et prends soin de toi.
Amélia. »

Je sélectionne le texte avec ma souris pour le copier directement sur la fenêtre de réponse déjà ouverte et à destination de Marc, mais j'hésite encore. Mon message n'est peut-être pas assez explicite. Soudain, une notification clignote sur mon écran. Je la sélectionne d'un clic.

« Tu cherches quoi avec moi ? »

Merde, c'est Yann ! Il faut absolument que je dissipe le malentendu, peu importe si je me prends un mur en retour. Je clique sur répondre. La sonnerie du téléphone m'interrompt, je relâche le clic de ma souris et réponds à ma mère venue aux nouvelles. Elle attaque directement et tente de me faire changer d'avis juste après bonsoir.

— Quel crève-cœur, tout de même ! Tu as plaqué l'homme parfait par peur et par pur égoïsme ! Tu ne retrouveras jamais quelqu'un d'aussi bien !
— M'man, arrête, s'il-te-plaît. Tu ne sais rien de la situation, alors arrête de me faire la leçon. Je n'ai plus six ans. Si j'ai envie d'être célibataire, c'est mon choix. Et arrête de me définir à travers un couple, c'est blessant !
— Je n'ai jamais fait ça, voyons ! Je ne veux que ton bonheur !
— Mon bonheur ne passe pas forcément par un mec, maman !

Hors de question qu'elle m'associe éternellement à Marc. Malgré toutes ses déclarations d'amour, il m'a été infidèle, merde à la fin ! Cela me pousse à couper définitivement tout lien avec lui. Cette petite discussion avec ma mère me remet les idées en place. Machinalement, je colle ma réponse sur le message ouvert et je clique sur envoyer avant de poursuivre plus sèchement.

— La seule chose que tu fais avec la régularité d'un métronome, c'est me balancer ton exemple de bonheur conjugal comme modèle idéal. Ben grande nouvelle, ce n'est pas forcément ce à quoi rêvent les petites filles. Elles veulent une carrière, aujourd'hui. Être pompier, océanographe, militaire, même !

Mon regard se porte alors sur mon écran qui affiche toujours le message de réponse destiné à Marc. Ouvert et vide.

— Qu'est-ce que... Oooh non, non, non ! Je suis maudite ! M'man, faut que je raccroche ! Bye !

Yann a bien reçu le message, une petite coche verte de lecture me le confirme en bas de page.
La fatigue alliée à un degré certain d'incompétence informatique ne font décidément pas bon ménage chez moi. J'espère une prochaine mise en orbite sur la station spatiale internationale. L'Australie me paraît désormais trop près.

Et dans le genre acte manqué en chaîne, je doute que « Ça me fait chier de devoir me répéter ; on a rompu, point ! » soit du meilleur goût comme réponse à un ex qui tente de recoller les morceaux. Même si on a décidé de rompre les ponts. Hélas c'est bien ce truc qu'il va recevoir dans les prochaines secondes.

Ne creuse plus, ma fille. Ton tunnel t'a menée en Chine...

Je me déconnecte et vais me noyer sous la douche.

Coeur d'homme, âme de soldat 1 : Apprivoise-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant