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2 Juillet, 21h54.

Harry avançait doucement sur la plage, il bordait l'eau de ses pas sans jamais pour la laisser le frôler. Il jouait avec elle, la contournait, l'évitait, s'éloignait. Mais il ne voulait pas sentir cette sensation de fraîcheur, ce froid paralysant et pourtant si doux. Harry préférait le regarder de loin, sans se donner l'autorisation d'en profiter. Il se punissait d'une certaine manière. A sa manière.

Harry avait toujours adoré l'eau, il n'était pas passionné par la nage, la plongée ou même l'apnée, non, lui, ce qu'il aimait c'était les caresses que la mer lui accordait. Une forme d'affection équilibrée, une douce froideur, un réconfort absent.

L'eau glissait doucement le long de sa peau et il souriait, il souriait à la sensation de cette goutte longeant l'arrière de son cou, il riait aux vagues qui se fracassaient contre son visage. L'eau le portait, l'aimait, le câlinait. Elle était une amie qui n'épuise pas les mots ni les gestes, elle est de ceux qui nous surveillent de loin en souriant. De ceux que l'on va voir lorsque les autres ne sont plus.

L'eau est une caresse que l'on ne pourra jamais haïr.
Hormis si elle enveloppe en elle la vie d'un être aimé, ou même d'un inconnu.

Alors Harry ne voulait pas sentir ses caresses, il attendait qu'elle lui rende ce qu'elle lui avait pris. Elle devait le souffle à un homme, et tant qu'elle ne lui rendrait pas, il chasserait ses douceurs, d'un air de dégoût.

Il finit par s'arrêter de marcher, se posant sur le sable alors que la mer reculait doucement. Le ciel formait un dernier adieu, comme si le jour ne pourrait plus être, une explosion de mille couleurs, une peinture astrale qui dépasse tout artiste. Et une mélodie qui nous berce bien qu'elle nous soit inaudible, son plus beau refuge : le silence.

Harry écoutait ses murmures, il sentait les grains de sables lui griffer le bout des doigts alors que le vent chassait toute trace d'une coiffure préparée. Il aimait attendre, c'est dans ces instants qu'il se sentait le plus lui-même. Il triait le monde, ses souvenirs, ses mots, ses pensées.

Il songeait à son père qu'il avait eu au téléphone quelques heures plus tôt. Il lui avait révélé l'existence de cet inconnu dont il se chargeait des frais d'hôpitaux. Bien évidemment il avait menti, son père n'aurait jamais accepté une autre de ses obsessions étranges pour les choses qu'il ne peut pas atteindre, alors Harry avait déclaré qu'LT était l'un de ses amis.

Sa famille venait d'un milieu plutôt aisé, ils n'avaient jamais eu de vrais problèmes d'argent, mais ils faisaient tout de même attention. Alors son père surveillait les comptes de chacun et avant tout l'argent qu'il y déposait.

Le père d'Harry avait utilisé l'héritage familial pour le placer dans la bourse, et malgré les hauts et les bas de ce milieu, les Styles faisaient partis des rares pour qui cela avait réussi. Mais depuis son père se méfiait, il savait que dans ce domaine, plus on était riche, plus on perdait vite, alors il avait beaucoup travaillé afin d'avoir une haute place dans une entreprise. Entreprise dans laquelle il avait disposé son argent, et par conséquent, il pouvait gérer lui-même les éventuelles crises.

Harry s'était toujours moqué de cette fortune, bien évidement il avait grandi dans un certain confort et y avait par conséquent pris l'habitude. Mais contrairement à son père il ne rêvait pas de ces grands appartements qui dominaient la ville, encore moins de ces châteaux qui prônaient les milieux déserts. Harry voulait d'une vie simple, mais heureuse.

Donc il se moquait un peu de ses comptes, et c'est pourquoi il laissait son père y jeter des coups d'œil de temps en temps, à son plus grand plaisir. C'est donc pour cela qu'Harry tenait à le prévenir des frais d'hospitalisations qui viendraient se soustraire à son salaire encore inexistant - puisque toujours étudiant.

Son père avait insisté sur les autres possibilités, s'il était possible que quelqu'un d'autre prenne en charge son « ami » ou du moins que la somme soit partagée. Il lui a répondu qu'il ne connaissait pas ses proches et alors son paternel s'est méfié. Il avait beau ne pas connaître par cœur son fils il avait pourtant entendu les nombreux discours de sa femme lui contant ses amours pour tout ce qui était inaccessible et irréel. Il savait qu'Harry voulait toujours faire le bien, mais il avait peur qu'il le fasse justement trop.

Ce poids l'avait écrasé déjà de nombreuses fois, celui de l'amour sans retour. Harry s'était passionné pour des mystères sans réponses, des images disparues ou des mots sans réel sens. Il tentait toujours de leur accorder une certaine beauté mais aussi une vérité, souvent en vain.

De plus il lui avait également annoncé qu'il avait démissionné de son job d'été de sauveteur en mer à peine une semaine après son commencement. À vrai dire, Harry n'était pas retourné à son travail les deux jours suivant l'accident, son patron avait fini par l'appeler pour lui demander les raisons de son absence et à ce moment là le bouclé a simplement répondu qu'il démissionnait. Son travail ne s'était donc pas fini dans le respect des codes mais son père n'était pas obligé de connaître tous les détails.

Ainsi en une après-midi Harry avait mis fin à la seule résolution qu'il avait prise pour faire plaisir à son père, mais aussi avait chassé toute chance de gagner de l'argent par ses propres moyens. Il n'avait même pas cherché à réfléchir, pour lui c'était une évidence. Il ne pouvait pas travailler alors qu'il devait prendre soin de l'inconnu. Son choix fût vite fait, il choisit encore une fois la passion.

Alors son père avait insisté sur ces frais, bien qu'il savait qu'il ne pouvait pas lui demander de ne pas les payer. Il voulait juste que son fils soit sûr de ce qu'il faisait, et que ce ne soit pas uniquement un passe-temps qui lui permettrait de changer ses pensées.

Harry avait tenu bon. Il savait que cet inconnu dans le coma n'était pas comme toutes ses autres passions. Celui-ci était vrai. Et surtout, il le connaissait déjà. D'une rencontre de quelques minutes certes, mais c'était déjà ça. Et le mystère les avait réuni, encore une fois, alors y croyait, cette fois-ci était différente. Il verrait les yeux de son idylle, et il lui rendrait vie.

Mais il avait toujours des doutes sur lui-mêmes, sur ses choix, ses pensées. Il savait qu'il avait tendance à se faire emporter par l'exaltation. Alors il se méfiait de lui-même, parfois sans raison.

C'est pour cela qu'il s'était retrouvé ici, sur cette plage. Il se sentait étrange, un mélange de tristesse et de mélancolie. Mais il y avait aussi une forme de satisfaction, presque du bonheur, il le caractériserait par un léger sourire, ceux qu'on attend le plus.

Harry patientait, il faisait le vide, il aimait le silence, il aimait le ciel, il aimait la mer, mais surtout, il aimait le mystère qui prônait au-dessus de cet individu. Celui-là, il ne l'abandonnerait pas, car il le savait, il y avait quelque chose d'autre enfouis, quelque chose de plus grand. Et il ne songeait qu'à une chose : la découvrir (et s'y laisser voguer).

« Le cri du sentiment est toujours absurde,
mais il est sublime,
parce qu'il est absurde. »

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* Charles Baudelaire.

Jusqu'à la vie.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant