(15) S'envoler

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AMBRÉLINA

Pour la première fois, j'aimais ce que me renvoyait mon reflet. Une fille presque confiante, élégante qui pas à pas extériorisait ce qu'elle ressentait, pour réellement s'affirmer. Cette fille c'était moi, Ambrélina.

- "T'as finis de t'admirer, bouge de là !"

En sursautant je constate qu'une file s'est formée derrière moi, une moue d'excuse sur le visage, je me décale pour la laisser passer. J'arrache mes orbes du petit miroir crasseux des toilettes de l'Université, me dépêchant de sortir des WC.

Je prends le car, en regrettant de ne pas trouver Sacha sur l'un des sièges. Je m'assois à côté de Coraline. Parce que de la même manière que je l'avait faite avec Arian, elle et moi, devions nous expliquer. Son front contre la vitre, ses mains coincées sous ses cuisses, je souffle :

- "Je sus sincèrement désolée de mettre si vite emporté..."

Sa tête pivote vers moi, et sans parler, elle prend sa main dans la mienne en me souriant. Dans un chuintement, l'autobus ouvre ses portes, laissant l'air chaud s'engouffrer dans l'habitacle du véhicule climatisé. J'écrase mes lèvres sur la joue de ma meilleure et unique amie, descendant en riant. Je me sens si heureuse qu'il se pourrait bien que je décolle, à la manière d'un avion de papier.

Mes talons claquants sur l'asphalte brûlante, je me presse pour parler. Avant que ma mère ne partes travailler, je veux lui parler. Je le dois, j'en ai besoin...

Je claque bruyamment la porte, prête à affronter. Comme je m'y attendais, plutôt agacée, elle me réprimande :

- "Quelles sont ces manières jeune-fille ?"

En moi s'est produit un déclic, un mécanisme bien huilée venait de sauter. Je ne veux pas rester à jamais enfermer, je veux m'envoler. Et si maintenant j'en ai la possibilité, alors je le ferais. Parce que je n'étais plus cette petite-fille torturée. Mes yeux plantés dans les siens, je lui lâche :

- "Bonjour."

Elle fronce ses sourcils parfaitement dessiné. Elle est belle, c'est bien la sa seule qualité. Une beauté froide et hivernale, qui vous gèle les os.

- "J'ai toujours fais ce que tu voulais. Je suis la petite machine que tu as savamment élaboré."

Je passe ma langue sur ma bouche, pour mieux savourer l'impact qu'auront les mots qui vont suivre.

- "Je peux changer, maman. Je peux me modeler, changer de personnalités et même cesser de respirer si tu le souhaite. Toi tu ne peux pas, coincée dans le présent tu ne vas pas de l'avant. Bloquée dans le passé, tu repenses à la manière dont papa nous a abandonné. Tu fais de moi ta marionnette parfaite de peur que moi aussi je te laisse. Sauf que, toutes ces années tu m'as étouffé."

L'ensemble de ses membres se figent, comme prit dans la glace. Une grimace de douleur tort sa bouche en un affreux rictus. Églantine Clevens attrape son sac à main posé sur la commode, et sort sans un mot. Pas un ordre, ni un indication.

Je profite du fait qu'elle doit aller travailler pour déployer mes ailes. Jambe en l'air je tournoie dans les airs, me sentant infiniment légère. Allumant la sono, tournant le bouton du volume. Je ferme les yeux, balançant mes hanches à droite puis à gauche. Mes mains m'entrainent brutalement vers le sol, je m'accroupis, déhanche mon fessier pour me lever.

Je suis seule dans cette pièce, pour la première fois je danse sans avoir besoin d'exprimer. Je danse pour m'envoler, me transformer, muer. Faire peau neuve du passé. Je me cambre en dérapant avec agilité sur le parquet ciré. Mon pied frappe le sol, mon bras caresse l'air. Je saute avec fluidité, mes mouvements sont aussi délicats que saccadés.

Je suis seule à danser pourtant je ne peux m'arrêter, je n'ai besoin de personne pour m'accompagner. C'est si intense que j'en ai le souffle coupé. Cette liberté était si lourde à porter.

Un tintement de clés, me sortent de mes pensée. J'ouvre les paupières, éblouis par la lumière nimbée du jour. Un corps contre le mien, ses bras maternels se refermant autour de moi. Mon nez enfouie dans ses cheveux, je hume son odeur en la prenant contre moi. Des larmes inondent déjà ma veste en jean, mais pas les miennes. Je la serre un peu plus fort, comme si je voulais recoller les parties qu'elle m'avait brisé. Au milieu du salon, la musique se déversant dans nos veines, accrochées l'une à l'autre tel deux marins sur le rivage, se rendant enfin compte de leur des dégâts produit par leur naufrage.

⭐️⭐️⭐️

Ce que j'étais avant toi... (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant