Lorsque Jack est seul, ce qui lui arrive surtout lorsque la nuit s'assoupit sur la Terre, il aime beaucoup suivre les lignes de sable qui traversent les continents. Il admire chaque soir un peu plus cette magie singulière et poétique de Sab, sa main plongeant dans les rayons pour former tantôt un dauphin, tantôt un cheval s'agitant autour de sa tête ; il pourrait d'ailleurs s'apercevoir qu'il parcoure des pays entiers de la sorte, s'il regardait autour de lui.
Il ignore tout du chemin qu'il a pris cette nuit. Peut-être se souviendrait-il du bruit des vagues sous ses pieds, des maisons, des chaumières éteintes ; et ce serait à peu près tout, sa mémoire a gardé surtout le sable lumineux qui a tracé sa route. Il n'a pas remarqué, par exemple, que le village dans lequel il se trouve est peuplé de dragons, que quelques humains sont encore debout, vêtus de gros manteaux de fourrure, et que cette île diffère beaucoup des endroits qu'il a l'habitude de côtoyer. Il n'a pas d'yeux pour tout cela.
Jack suit les tracés jusqu'aux fenêtres des chaumières, regarde les enfants dormir en s'attardant, toujours, sur les éléments de leurs chambres, parce qu'il aime à deviner ce qui amuse chacun quand il est éveillé. Il doit voir, en tout, une vingtaine d'enfants ce soir.
Il s'apprête à quitter ce village, en visiter un autre, quand son attention s'attarde sur le dernier enfant qu'il voulait voir ce soir. Le petit dort profondément. Il est blond, ses poings serrés sont tous les deux posés devant son nez arrondi, sa chambre est pleine de dragons en papier mais c'est la plus rangée qu'il ait vue cette nuit. Tout est en ordre. Rien ne dépasse. Pas une chaussette ne traîne sous son lit, pas un dessin n'est tombé par terre. Rien n'est par terre, de toute façon. Des meubles. Aussi, si Jack observe bien, il y a un genre de fauteuil à roulettes à côté de la porte. Ça n'a pas l'air très confortable.
Mais ce qui force l'Esprit à s'arrêter, parce qu'après tout, il a déjà rencontré, ailleurs, des enfants très organisés, et il ne compte plus ceux qui rêvent de dragons, c'est le sable qui ne tourne pas au-dessus de sa tête. Le petit dort, c'est indéniable, il peut voir l'air entrer et sortir sereinement de ses narines. Le petit dort. Et pourtant, si le sable de rêves est dans sa chambre, le petit ne rêve pas. Le sable flotte autour de lui sans agir sur sa nuit, comme bloqué par une aura peut-être, par un phénomène auquel Jack n'a jamais assisté.
Le Gardien reste prostré là quelques minutes encore. Il s'en va finalement, quitte le village en faisant, cette fois, un peu plus attention au chemin qu'il emprunte – parce qu'il a l'intention de revenir demain.
***
« Est-ce qu'il est possible qu'un enfant endormi ne rêve pas ? »
Le Père Noël, qui faisait le tour de son atelier, s'arrête et baisse la tête pour croiser son regard. Il réfléchit, fronce ses épais sourcils aussi broussailleux que des pins mal taillés.
« Je ne crois pas, commence-t-il avec son accent Russe particulièrement prononcé. Tous les humains qui dorment rêvent, surtout les enfants. »
Jack hoche la tête, lui dit qu'il a raison. Qu'il pense aussi cela et qu'il a dû mal voir la veille, que le spectacle étrange auquel il a cru assister n'était qu'une illusion d'optique.
« Mais demande à Sab, il saura mieux t'expliquer. »
Et Nord reprend son tour de l'atelier.
***
Des formes sablées se forment au-dessus de la tête du petit bonhomme. Depuis déjà plusieurs années qu'il est Gardien, Jack a appris à le comprendre. Le marchand de sable est peut-être l'Esprit qu'il admire le plus, il canalise ses émotions, a toujours apaisé sa tristesse en offrant ses rêves aux enfants, lesdits rêves qui sont sa source majeure de réconfort. Il était nécessaire d'apprendre à le comprendre.
Le muet a beaucoup réfléchi. Il lui a dit que de très rares adultes pouvaient ne pas rêver, s'ils s'efforçaient de ne croire ni en la magie, ni en les rêves, s'ils tuaient en eux la moindre parcelle d'émerveillement restante au point de savoir combattre la magie même sans en être conscient. Mais Sab lui dit aussi que ça n'arrive jamais aux enfants, les enfants ne sont pas assez désespérés pour ne même plus croire en les rêves qu'il est prêt à leur offrir.
Jack n'en est pas certain. Il remercie l'homme de sable et s'envole, décidé à retrouver le petit garçon d'hier soir et de comprendre ce qu'il a. Parce qu'il n'y a, pour lui, rien au monde de plus triste qu'un enfant qui ne rêve pas.
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Un chef protège les siens - HIJACK
FanfictionCela fait à peine huit mois que Harold a perdu son père et qu'il l'a remplacé en tant que chef. Ce rôle qui lui faisait peur, il est dorénavant forcé de l'endosser, et la perte de l'homme qu'il ne peut égaler le pousse à vouloir suivre exactement se...