L'inconnu est venu quatre fois supplémentaires – deux par semaine. Harold a fini par s'habituer à sa présence ponctuelle comme à celle d'un villageois, bien qu'il n'en ait vraiment pas l'air – parce qu'il est plus frêle que les autres, plus frêle même que lui quand il avait son âge ; parce qu'il peut créer des boules de neige sans neige originelle ; parce qu'il sait voler. C'était ainsi qu'il quitte Beurk ; Harold s'en est aperçu la semaine suivant sa première intervention auprès de Loustik, du moins la première dont il ait eu conscience.
Le chef n'y a pas réellement réfléchi. Il a compris l'aspect surnaturel de son existence dès la première fois qu'il l'a vu créer des flocons avec ses mains, s'est dit qu'il était peut-être un genre de créature possédant un mélange d'ADN d'humain pour l'apparence, de dragon pour la magie. En plus, personne autour n'a semblé une seule fois s'étonner de sa présence. Harold s'est senti fier d'être le chef d'un village aussi tolérant que le sien.
Il voit l'inconnu jouer avec Loustik du coin de son œil bienveillant. Harold n'y prête presque plus attention, comme si le voir créer sous ses doigts les éléments nécessaires pour que l'enfant crée les bonshommes de neige de son choix était une scène habituelle, un élément du paysage. Le chef sourit en coin, prend une nouvelle commande : un casque pour une fillette qui montera, demain, sur son premier dragon. Il laisse Loustik et l'inconnu dans un coin de ses pensées tandis qu'il prépare ledit casque. Gueulfor a, sur les lèvres, le même sourire que lui. Il est heureux de voir qu'Harold semble plus reposé, et plus enjoué qu'auparavant.
Quand il revient avec le casque, Harold ne se rend même pas compte que ses yeux, avant même de fixer son interlocutrice, se dirigent vers la balançoire près de laquelle l'enfant et l'adolescent jouent. Ce n'est qu'en offrant son dû à la fillette en face du comptoir qu'il réalise l'image que viennent de capturer ses yeux : Loustik est allongé par terre. Le chef relève précipitamment la tête et la peur s'empare de lui immédiatement quand il se rend compte qu'il n'est toujours pas retourné dans son fauteuil. L'inconnu est à côté de lui et semble vouloir agir, mais il ne le fait pas.
Harold quitte la forge et s'élance vers la balançoire. Quand il s'approche, il s'aperçoit que le nouveau compagnon de jeu essaie réellement de redresser Loustik – mais les bras dans lesquels il tente de le tenir ne font que traverser son corps. « Crois en moi », l'entend-il implorer, paniqué. « Crois en moi, je ne peux pas t'aider sinon. ».
Loustik ne l'entend pas. Il ne le voit même pas, bat des bras – Harold craint qu'il frappe l'inconnu au visage, mais là encore l'enfant ne fait que passer au travers. L'autre s'éloigne rapidement quand le chef arrive, Harold saisit Loustik par les aisselles et le remet sur son fauteuil. « Là, ça va mieux », le berce le viking. « Loustik, calme-toi... Maman arrive. Ne pleure plus, c'est fini. Ça va mieux. ».
Essoufflée, Adelheid arrive et prend son fils en charge. Harold s'écarte, observe le garçon immatériel. Il a les yeux écarquillés et respire fort. Harold s'apprête à lui proposer de l'accompagner à la forge, ou chez lui, boire un thé, se remettre – se faire traverser par Loustik semble l'avoir bouleversé. Il n'en a pas le temps. A peine agence-t-il un pas que l'autre, transperçant son esprit de ses profonds yeux bleus, lui tourne le dos et s'envole. Personne, autour, n'a prêté attention à lui. Ceux qui se sont sentis concernés par la scène s'inquiètent exclusivement de l'état du petit.
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Un chef protège les siens - HIJACK
FanficCela fait à peine huit mois que Harold a perdu son père et qu'il l'a remplacé en tant que chef. Ce rôle qui lui faisait peur, il est dorénavant forcé de l'endosser, et la perte de l'homme qu'il ne peut égaler le pousse à vouloir suivre exactement se...