4 - Premier échange

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Harold a cru halluciner quand il s'est rendu compte que l'inconnu était revenu. Deux semaines qu'il ne l'avait pas vu, quatre rendez-vous qu'il avait manqués. Il a guetté le moindre flocon de neige autour de Loustik, s'est dit que peut-être était-ce à son tour de ne pas le voir, alors qu'il était là. Mais non.

Il a eu beaucoup de mal à se faire à son absence, s'est levé avec moins d'engouement le matin, est devenu étrangement plus distrait à la forge. Ç'aurait dû être l'inverse, le fait qu'il n'ait plus à laisser vagabonder ses yeux près de la balançoire de Loustik aurait dû justement augmenter sa concentration. Mais l'inconnu à qui il n'a jamais parlé, dont il ne connaît même pas l'identité, et qu'il semble être le seul à voir – du moins la seule personne qui s'en préoccupe –, lui a manqué. Loustik a de nouveau oublié son sourire et a cessé de jouer.

Alors Harold a du mal à croire que le garçon magique soit de retour à Beurk. Il s'est même demandé, la première fois qu'il l'a revu aujourd'hui, s'il n'était pas en phase de devenir fou. Si cette présence inattendue n'est pas issue de son espoir que l'inconnu revienne. Mais si c'est un mirage, il se dit que celui-là est particulièrement persistant. Il a dû lui jeter une cinquantaine de coups d'œil depuis ce matin et son image ne s'est pas évaporée. Et le sourire de Loustik est de retour parmi eux.

Il demande une pause à Gueulfor, qui la lui octroie exceptionnellement. Il est tard, les parents de Loustik viennent le chercher dans quelques minutes. L'inconnu va bientôt partir.

« Monsieur ! » s'exclame Harold alors qu'il semble justement prêt à s'envoler. Nommer « monsieur » un adolescent lui a paru étrange mais il n'a pas su quoi dire d'autre, « hé, toi ! » lui semble familier. Le jeune homme s'arrête et se tourne vers lui, fronce les sourcils, hésite. Le sonde.

« Moi ? »

L'autre est tellement abasourdi qu'Harold le lit dans tous ses traits. Dans sa main posée sur son torse, dans ses sourcils haussés, dans son regard surtout. Ses yeux clairs qui font partie des plus expressifs qu'Harold ait jamais vus.

Le chef hoche la tête et poursuit :

« Merci, d'être revenu. Même si Loustik ne te voit pas. Tu rends à mon village un sourire qui manquait.

– Oh...

l'inconnu passe la main dans ses cheveux pâles.

– Je t'en prie. C'est mon travail.

Harold ne comprend pas à quel travail il fait allusion, mais hoche la tête et effectue un pas en arrière. Il est gêné, ne sait plus précisément ce qu'il est venu faire ici. Cette voix nouvelle qu'il entend et qu'il a fait parler lui-même lui donne l'impression d'avoir franchi une frontière qu'il n'est pas sûr d'avoir voulu passer. Il n'avait pas suffisamment pensé à cette scène.

L'adolescent se retourne, encore prêt à partir mais s'arrête à nouveau.

– Tu as quel âge ? lui demande-t-il.

Harold est perturbé. La première question qui lui serait venue, à lui, aurait été « comment tu t'appelles ? ». Qu'a-t-il à faire de son âge, n'est-il pas suffisant de voir à son physique qu'il a la vingtaine ?

– Vingt-et-un ans.

L'autre baisse les yeux, acquiesce.

– Et toi ? Harold se souvient soudain des bonnes manières.

– Oh... J'ai pas compté. Pas loin de trois-cents. »

Le chef se demande un instant s'il se moque de lui mais il a l'air assez sérieux. Il recule définitivement, le laisse s'envoler. Se reprend d'un coup, tant qu'il est encore assez près du village pour l'entendre :

« Tu vas revenir ?

– Oui ! » lance sa voix grave – trop grave pour un adolescent de quatorze ans, mais trop assurée aussi pour un vieillard de trois-cents – et le garçon s'en va.

Un chef protège les siens - HIJACKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant