Jack et Harold sont entrés chez lui. Ils ont été relativement silencieux tout au long du chemin, c'est pourquoi Jack sursaute quand Harold s'écrie :
« Je suis rentré, mon grand ! »
Jack s'éloigne immédiatement quand une énorme masse noire et écailleuse s'écrase sur son hôte. Il met un certain temps avant de comprendre qu'il s'agit d'un dragon. Lui qui vient dans ce village depuis déjà deux mois n'a jamais approché de si près l'une des créatures qui y côtoient les hommes.
« Krokmou, arrête ! Tu sais bien que ça part pas au lavage », rit Harold et par automatisme, l'Esprit se sent sourire. Ledit Krokmou l'embête encore avant de relever la tête vers Jack, et de la pencher sur le côté.
Malgré lui, le garçon est sur ses gardes. Lui qui est plus frêle que Harold n'a pas l'envie particulière d'être écrasé de tout son poids, ni celle de sentir son immonde bave gluante et odorante couler sur son visage.
Mais Krokmou ne fait pas un pas. Harold les présente l'un à l'autre (« Jack, Krokmou, Krokmou, Jack ») et ce dernier est assez déstabilisé d'avoir à saluer un animal. Déjà qu'il a du mal avec les humains...
« Non,
Jack reprend conscience, sorti des ses pensées dont il a déjà oublié la consistance. Harold et Krokmou ne sont plus face à lui, le viking tente plutôt d'atteindre la cuisine. Du moins ce qui y ressemble.
– mon grand, je peux pas voler ce soir. Je suis désolé, je tombe de fatigue. »
Le dragon se relève, prend une moue vexée. Il le toise du regard avant de s'éloigner, la tête haute.
« Krokmou...
Le son brisé dans la voix du garçon serre le cœur de Jack.
– Fais pas la tête, mon grand, je viendrai une autre fois... »
Mais Krokmou grogne et s'en va vraiment. Jack hésite à parler, ne sait pas quoi lui dire. Avance simplement, pour l'aider dans la cuisine, même s'il ne mange pas souvent.
Rien ne se fait entendre d'autre que les bruits des ustensiles et des casseroles pendant dix minutes, peut-être. Finalement, c'est Jack qui rompt la glace.
« Vous êtes amis depuis longtemps ?
– Six ans, répond le viking sans avoir eu besoin de réfléchir pour savoir qu'il parlait de Krokmou. C'était... Ça a pas très bien commencé, disons. Mais on s'est apprivoisé, à coup de nourriture et de dessins, personne s'est entre-tué et on est devenu inséparables. C'est juste... Ça fait pas longtemps que je suis chef. On n'a pas encore réussi à trouver de compromis entre la fatigue et le jeu, donc... C'est pas simple.
Jack hoche la tête, ne sait pas quoi répondre. Il trouve ça triste. Harold aussi, en fait.
– De dessins, tu disais ? »
Harold s'apprête à acquiescer, mais prend conscience du ton amusé qu'il y avait dans sa voix. D'un coup les quelques lignes qu'il a lues sur lui lui reviennent en mémoire, « Jokul Frosti est créatif. C'est pour cela que le givre peut, quand on l'observe en détail, ressembler à de l'art gelé. ». Il esquisse un sourire. De nouveau, il se sent apaisé. Un peu moins fatigué. Presque revigoré.
Le maître de la maison prend le plat que tenait l'Esprit et frissonne au contact glacé de ses doigts fins. Il fait comme si de rien n'était, met le moule rempli dans un genre de cheminée de laquelle Jack s'éloigne. Harold le regarde, amusé, et lance :
« Viens, je vais te montrer. »
***
Ils sont dans l'atelier de Harold. Celui-ci ne ressemble pas vraiment à la forge. Il est plus personnel. Sur un très long bureau gisent divers outils plus ou moins rangés, de nombreux plans et quelques objets qu'il n'a pas terminés. Jack prête une grande attention aux divers croquis qu'il a faits de Krokmou, de son aile caudale et de lui tout entier ; il admire aussi la grande carte qu'il n'a pas terminée, observe la remarquable précision de sa cartographie.
« A une centaine de kilomètres au Nord de... Tu appelles ça comment, « L'Île des Dames ailées » ? Il y a une île magnifique. J'ai pas vu beaucoup de dragons, mais le paysage vaut le détour, tu iras voir. Quand tu auras le temps. Ça te fera oublier ta fatigue. »
Pour une fois, c'était involontaire, mais Jack a réussi à insuffler une véritable étincelle de gaieté dans les yeux du viking. Celui-ci s'approche de lui, un genre de fusain à la main.
« Où ça, tu dis ?
– C'est trop loin pour tes feuilles, mais par-là », désigne Jack en plaçant son index sur le mur en bois. Harold y dessine une petite croix et Jack n'ose pas lui signaler qu'il ne pourra pas emmener le mur avec lui quand il s'en ira explorer le Nord de l'Île des Dames ailées.
« Ce ne sont pas les dessins auxquels je m'attendais, déclare Jack quand ils s'éloignent de l'immense ensemble de parchemins collés les uns aux autres, mais c'est impressionnant. Ton atelier est génial. J'ai vu celui du Père Noël, je peux le dire. »
Harold ne sait pas qui est le Père Noël mais il rit avec lui, le remercie. Puisqu'il se réanime peu à peu, il lui présente ses inventions en cours, ses inventions finies, lui fait porter quelques casques beaucoup trop grands et trop lourds pour le pauvre Esprit qui n'aime pas du tout la sensation d'avoir la tête couverte. Il admire aussi, de temps en temps, quand Jack observe ses créations, les arabesques que lui, fait sans s'en rendre compte. On dirait des fougères, les traînées de neige qu'il sème derrière ses talons au moindre pas qu'il fait. Même les minuscules traits de givre qui les constituent semblent être composés d'un art interminable, une sensibilité infinie. Jack a le sens du détail.
Les dessins qu'il fait ne sont pas des plans. Ils ne servent à rien d'autre qu'à ravir ses yeux qui n'attendent que ça, un peu d'émerveillement. C'est d'ailleurs en cela qu'ils sont beaux.
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Un chef protège les siens - HIJACK
FanfictionCela fait à peine huit mois que Harold a perdu son père et qu'il l'a remplacé en tant que chef. Ce rôle qui lui faisait peur, il est dorénavant forcé de l'endosser, et la perte de l'homme qu'il ne peut égaler le pousse à vouloir suivre exactement se...