Martin

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Martin

            Les serveurs arrivent enfin avec nos assiettes. Pour la plupart on a pris des pattes. Maria a pris un plateau de fruits de mer et Fanny a optée pour une salade. Tout le monde, sauf Lucas, fait semblant de baigner dans l'argent mais c'est évident que notre porte-monnaie ne tient pas le coup dans ce restaurant. Abdel aurait pu choisir d'aller autre part... Il n'est visiblement pas au courant, qu'on ne profite pas tous de l'argent de nos parents, comme lui. Je suis certain que c'est celui qui s'en est le mieux sortit après le lycée. Si j'ai bien suivi, il n'y a que deux personnes sur les douze qui ont vraiment fait ce qu'elles rêvaient de faire étant ados. Maria a ouvert l'entreprise dont elle parlait vingt-quatre heures sur vingt-quatre et Joana à continuer d'aider les personnes les plus défavorisés à travers le monde. Il y a quelques années, j'aurai parié que Maxime aussi ferait ce dont il rêvait tant, c'est-à-dire, suivre des études de cardiologie mais au lieu de cela il se forme en tant qu'infirmier. Ce n'est pas si mal que ça mais ça doit faire mal de convivialiser avec des docteurs à longueur de journée sans en être un.

            Pour ma part, j'ai abandonné mes études de droit. Je pensais vouloir devenir avocat mais en réalité c'était la volonté de mon père, qui l'est, mais pas la mienne. J'ai ouvert les yeux en deuxième année. Rien ne me plaisait, je me voyais de moins en moins assis derrière un bureau toute la journée à essayer de résoudre les problèmes des autres et en plus je ne m'entendais pas spécialement bien avec mes camarades. Ce que j'aime moi, c'est l'univers du livre. J'aime lire ; j'aime écrire ; j'aime la façon dont un livre est travaillé avant d'être publié. En gros, j'aime le monde de l'edition. Malheureusement, les études ce n'est pas pour moi. Je déteste étudier et je me voyais mal retourner en cours alors j'ai opté pour un poste en librairie. J'adore parler de livres, conseiller et sociabiliser. Ça me dérange de ne pas avoir mon mot à dire quant aux livres que les maisons d'edition sélectionnent afin d'être publiés mais c'est bien la seule chose qui me dérange.

            L'année dernière ça a été une excellente année. J'ai gravi quelques échelons dans mon travail et j'ai rencontré l'amour de ma vie. Le plus impressionnant c'est qu'on n'a rien en commun. Il est plus grand et plus balaise que moi. Il doit faire dans les environs d'un mètre nonante alors que moi je fais à peine un mètre septante-neuf. Moi, j'ai des origines américaines alors que lui, il a des origines italiennes. Puis, moi j'adore lire alors que lui, il déteste ça !

            Lorsque Laura m'a posé des questions quant à une éventuellement copine, je n'ai pas répondu. J'ai tout simplement nié et elle est passée à autre chose. Bien que j'ai fait mon coming out, il y a peu auprès de ma famille, je ne me sens pas prêt à me dévoiler complètement à ces gens qui autrefois étaient tout pour moi mais qui sont devenus de parfaits inconnus. Ça fait dix ou onze ans que je me suis rendu compte de mon attirance envers les garçons et non les filles et je viens à peine de gagner le courage de le dire à mes parents ainsi qu'à mes sœurs alors je ne suis pas prêt de le leurs dire à eux.

-          Ça va Martin ? Me lance Marie avec un sourire coquin.

Je vais vraiment finir par la détester celle-là ! Elle est persuadée que je la draguais en soirée alors que ça n'a jamais été le cas. Les filles m'ont toujours fait comprendre que je suis beau et irrésistible et j'en ai toujours souffert. La première chose que je fais le matin, comme tout le monde, c'est me regarder dans la glace et chaque jour je me demande ce que j'ai en plus que les autres n'ont pas. Si j'ai la malchance de sourire à une fille, elle va se dire automatiquement dans sa tête : « t'es trop belle, il faut qu'on couche ensemble ! ». Toutes les filles dans ce groupe ont déjà tenté quelque chose avec moi et vu que je n'assumais pas mon homosexualité, ça a toujours été difficile de leur refuser quoi que ce soit. Et c'est avec beaucoup de regrets que j'ai couché avec Joana, avec Fanny et avec Maria.

Le problème avec Marie c'est que, lorsqu'elle a su que j'avais eu des rapports avec ses trois copines, elle en a été complétement dingue. Elle avait commencé à me parler régulièrement, à me faire des remarques coquines et à me coller un peu trop dans les soirées. Laura m'avait confiée une fois qu'elle en avait marre d'être vierge et que son fantasme était de faire sa première fois avec « un garçon aussi beau que moi ». Une fois, dans les toilettes d'un bar à chicha, alors qu'elle était complétement ivre, elle m'avait demandé de faire d'elle ma muse. Sur le coup, ses paroles m'avaient choquées. Il n'y a vraiment qu'une fille complétement bourrée pour dire des choses comme ça mais moi, c'était hors de question que j'accepte. J'en avais marre de m'obliger à faire ça avec des personnes qui ne m'attiraient pas. J'ai voulu être juste envers moi et envers elle alors j'ai tout simplement refusé. De là, elle m'a traitée de tous les noms et elle a insinuée que je l'avais chauffée pour rien. Soit dit en passant, elle s'est chauffée toute seule.

Si elle croit me faire peur avec ses regards bizarres qu'elle sache que je suis prêt à m'assumer complétement. Si elle décide de le raconter aux autres, je ne nierai rien. Seulement, j'ai peur que les filles le prennent mal et qu'elles se mettent à m'insulter comme l'a fait Marie ce fameux soir-là.

-          C'est délicieux !

Ma remarque ne fait réagir personne.

-          C'est délicieux ! Tentai-je alors plus fort cette fois-ci.

Comme par hasard, il y a eu un énorme blanc. Plus personne n'a plus rien dit pendant quelques instants et puis c'est reparti. Mine de rien, il y a pleins de choses qui arrivent en sept ans. Nous avons tout pleins de choses à dire, que ce soit sur nous ou sur les gens qui nous entourent. Personnellement, j'émets beaucoup de choses sur ma vie personnelle. Je ne ressens pas le besoin de raconter certaines choses. Je ne raconte que le strict nécessaire.

D'un coup, je sens mon GSM vibrer dans ma poche. Je sais que ce n'est pas poli de toucher à son téléphone quand on est à table mais je ne peux m'empêcher d'y jeter un coup d'œil, ni vu ni connu.

21h03 : Coucou mon amour. Je viens de rentrer du boulot. Qu'est-ce qu'il dure ce diner ! Reviens-moi vite.

Certains trouveront ça niais mais moi je trouve ça trop mignon. Mon copain compte beaucoup pour moi et j'aimerai le présenter à tout le monde mais je l'évite pour qu'il n'y aient pas de désillusions ou des questions un peu trop personnelles. Chaque fois que je le raconte à un proche il n'a aucun problème à me sortir la phrase que tous les gays redoutent : de toutes manières les garçons les plus beaux sont toujours gays. Quand on me dit ça je n'ai qu'une envie : crier haut et fort que beaucoup de gays sont moches et que de toutes manières, on n'en a rien à foutre de leurs conclusions inutiles.

21h05 : Je vais essayer de rentrer le plus vite possible bébé.

Je me demande bien quelle connerie je vais pouvoir inventer pour pouvoir rentrer plus tôt. En tout cas, ce cirque d'hypocrisies ne me plait pas du tout.

Les Douze (NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant