Manuel

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Manuel

            Voilà longtemps que mes cheveux roux n'avaient pas fait autant d'effet à une femme. Je sens le désir que Maria éprouve pour moi et j'en ressens presque autant pour elle. Elle est belle et riche ; je suis musclé et drôle. Je pense que c'est une bonne combinaison. Je peux lui apporter de la gaieté tout comme elle peut m'apporter de la vigueur (et de l'argent aussi).

            Les affaires au garage de mon frère, où je travaille depuis cinq ans, marchent bien. Je gagne suffisamment d'argent mais j'en dois beaucoup aussi alors je n'arrive pas à en garder très longtemps. J'ai toujours été comme ça, j'ai toujours eut des dettes envers tout le monde. J'en avais même envers mes professeurs et éducateurs qui pensaient bien faire en me prêtant de l'argent chaque fois que je supposais ne pas en avoir.

            Maria est à présent assise sur mes genoux. Nous discutons de tout et de rien. Elle aime bien parler de son entreprise et critiquer ses employées qui réclament trop souvent des congés en plus. Elle me passionne car tout ce qu'elle a, j'ai envie d'avoir. J'ai envie d'avoir des employés, des décisions difficiles à prendre, des impôts, j'en passe. C'est bizarre à dire mais j'adore les responsabilités et sentir que j'ai réussi à faire quelque chose de compliqué. Je ressentais ça, au tout début, quand je suis arrivé au garage. Les deux premières années ont été géniales. Je n'ai fait qu'apprendre et mettre en place ce qu'on m'apprenait. Maintenant, c'est du vu et revu. Je n'apprends plus rien, je répare des autos et des motos automatiquement, presque sans réfléchir.

-          Il y a un truc que je n'ai dit à personne car j'ai très peur du mauvais œil et je n'avais pas envie que ça s'abatte sur moi, lâche Maria après quelques minutes de silence.

Ses fesses remuent sur moi au rythme de la musique mais je tente tant bien que mal de me concentrer sur ce qu'elle essaie de me dire.

-          Ce matin, j'ai signé un gros contrat avec de grandes personnes. J'ai investi dans un immeuble à quelques millions.

Je suis choqué. On ne parle pas en centaines, ni en milliers. On parle de millions. Elle doit être vachement alcoolisée pour arriver à me raconter quelque chose d'aussi gros. Je suppose aussi qu'elle doit se dire qu'elle peut faire confiance au clan des douze. Je ne suis pas de cet avis-là. Je ne les connais plus très bien, les onze autres. On a tous changé radicalement. Ça en est déconcertant.

Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon jeans alors je décale Maria afin de pouvoir le prendre.

00h06 : ça va ?

Putain...

C'est ma meuf. Elle a essayé de m'appeler quatre fois et je n'avais même pas remarqué. Je suis tellement bien ici que je n'avais même pas pensé à elle. Mon subconscient essaye me dire que je suis en train de tromper ma copine, ma raison essaie de m'expliquer que je ne l'ai pas encore fait.

Répondre ou ne pas répondre ? Telle est la question... Dans les deux cas, elle va m'harceler jusqu'à ce que j'arrive chez ses parents. Elle habite toujours là-bas et elle préfère que j'y dorme plutôt que de venir elle, chez moi. Je trouve ça gênant. On ne peut même pas s'amuser à fond afin de ne pas les réveiller. Elle veut que je lui fasse une demande en mariage et un enfant, alors qu'elle ne veut même pas déménager pour moi.

Je suis écœuré de notre relation. Ce n'est plus comme avant. Dans ma tête, un couple ensemble doit se donner à cent pourcent pour que ça fonctionne correctement. Si le garçon fait septante pourcent d'efforts et la fille que trente, le garçon diminuera automatiquement ses efforts. Pareil dans l'autre sens, si la fille fait quatre-vingt pourcent du travail et le garçon vingt comme c'est en train d'arriver dans notre relation, il va se lasser de n'avoir pratiquement plus rien à faire et en plus la fille risque de les arrêter. La conclusion à en tirer c'est que, dans un couple il faut du cinquante-cinquante, voir du cinquante-cinq à quarante-cinq car il est bien connu que les filles nécessitent de plus d'attention que les garçons. Pour ma part, j'en reçois de trop et j'en donne presque plus. Ce n'est plus plaisant, je sens que c'est forcé.

Depuis que je me suis mis à danser avec Maria, je me suis rendu compte que j'ai une chance de tout recommencer. De repartir à zéro dans un couple où je sais d'entrée que pour que ça marche, je ne dois pas me donner à cent pourcent. Je dois laisser les choses se faire et ne pas forcer le destin. Voilà un conseil que je pourrai donner à Abdel mais, je m'abstiens. Lui, c'est un cas perdu. Je le vois bien. Yamina également. Autant un, se donne à fond, autant l'autre, ne tente même pas. 

Le comportement de Laura vis-à-vis de moi, a changé. Elle me regarde mal depuis au moins trente minutes et en plus elle me lance des regards accusateurs. Autre chose qui a changé dans son comportement : elle se lâche et danse sans arrêt. Elle est déchainée. Abdel danse autour de Laura tout en regardant Yamina et Lucas, bois un cocktail dans son coin.

-          C'est l'heure de fumer les gars !

Cette phrase m'avait tellement manquée ! Abdel la disait deux fois par heure au moins à chaque soirée dans laquelle on se rendait. Quand il criait ça, on prenait tous une cigarette et un briquet et on allait dehors, comme on est en train de le faire maintenant. Sauf quand il y avait des espaces fumeurs dans les boites, bien sûr. Mais celle-ci n'en a pas. C'est fou comme certains choses restent et ne changent pas. Une simple phrase arrive à nous faire rappeler des centaines de moments.

Yamina pour sa part restait et reste toujours d'ailleurs à l'intérieur pendant qu'on fume. Elle a toujours été la rabat-joie du groupe qui rit le moins possible et qui gâche le plus de moments.

-          He Laura, attends-moi, dis-je.

Elle me regarde bizarrement mais le fait tout de même.

-          Quoi ?

Je ne l'entends presque pas. J'ai l'impression qu'ils ont augmenté le son de la musique. Ou alors je ne veux tout simplement pas l'entendre.

-          Qu'est-ce que tu as ?

Elle continue d'avancer avant de crier :

-          J'attends l'heure de la mise au point.

De là, j'ai su que j'allais avoir droit à un procès moi aussi.

    

Les Douze (NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant