Echec et Mat

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Voldemort est mort. Harry Potter aussi. Quelle leçon retirer de tout ceci ? Peut-être aucune. Peut-être est-ce la seule leçon qui vaille la peine d'être retenue. Dans la vie, la cruauté n'est pas toujours punie. Les monstres ne reçoivent pas toujours ce qu'ils méritent, pas plus que ceux qui les combattent. Il n'y a ni anges, ni démons. Seulement des nuances de gris qui se confondent, que la vie salit chaque jour un peu plus, jusqu'à les rendre indiscernables. Les quelques tâches de lumière qui tentent de subsister dans toute cette obscurité sont bien souvent trahies par leur propre naïveté. Rien n'a de sens. Aucune force dans l'univers n'a établi de destin pour notre pauvre petite espèce, perdue sur un caillou à l'orée d'une étoile minuscule dans l'immensité du vide. Il n'y a aucun dessein, aucune raison aux événements qui se sont déroulés, rien qui ne justifie les horreurs qui ont été causées, et rien qui ne garantira une justice à tous les innocents morts dans ce conflit. Un conflit parmi des centaines de milliers d'autres, à peine achevé qu'il est prêt à enfanter le suivant. Rien n'a de sens. Personne n'en a rien à foutre.

Il nous aura fallu trois ans pour arriver à ce constat terrible. Cette vérité si horrifiante que l'Humanité a préféré se réfugier dans les mythes pendant plus de deux-cents-mille ans plutôt que de l'affronter. Pourtant, aujourd'hui, au terme de trois années de guerre et d'absurdités, nous comprenons enfin l'authentique pouvoir de cette révélation.

Aucune puissance supérieure ne veille sur nous. Nous sommes les seuls responsables de nos actes, et du chemin qu'empruntent nos vies. Nous sommes seuls. Nous existons par la seule force du hasard, parce que deux éléments qui ne s'étaient jamais rencontrés avant se sont assemblés pour former quelque chose d'autre, quelque chose de nouveau, une chose qui finirait par évoluer, grandir, se mouvoir, affublée du terrible fardeau de la conscience. La conscience, qui nous crie que nous sommes inutiles...

Pourquoi continuer, alors ? Si tout est vain, si le monde est condamné à sombrer dans un cycle de barbarie et à sombrer encore, pourquoi continuer ?

Peut-être parce que, comme tout le reste, nous aussi, nous sommes des êtres absurdes. Nous continuons parce qu'il n'y a pas d'autre alternative. Parce que la plupart d'entre nous ne prennent pas le temps de s'interroger sur la vacuité de leur vie. Nous pouvons vivre sans comprendre pourquoi. Surtout, ne pas s'interroger. Surtout, ne pas penser. A la rigueur, s'inventer des raisons d'exister...

Au milieu de ce chaos, néanmoins, certains d'entre nous parviennent à entrevoir un espoir. Si rien n'est écrit, si nous sommes seuls et que la morale, le châtiment, la justice ne sont que des constructions de l'esprit, des illusions... Alors, tout devient possible. Nous sommes les seuls maîtres de nos destinées. A nous et à nous seuls de choisir entre créer ou détruire, aimer ou haïr, vivre ou mourir. Au bout du chemin, il n'y aura pas de comptes à rendre.

Voldemort est mort. Les ténèbres vont perdre du terrain pour l'instant. Beaucoup sont tombés en cours de route : ils s'appelaient Harry, Ron, Hermione, Ginny, Dean, Fred, Lavande, Rufus, Albus, Gellert, Cho, Minerva, Severus... Chacun d'eux était un pion, une pièce qui a joué son rôle dans cette gigantesque machination sans fin que représente le monde. Comme toujours, la partie n'est pas terminée. Le jeu va continuer, et amènera sans cesse avec lui de nouveaux joueurs, volontaires ou non, conscients ou non.

Sur ce nouveau plateau qui se dessine, il subsistera quelques vieilles pièces écornées, rescapées de la bataille précédente. Elles s'appelleront Luna, Neville, Seamus ou Parvati.

Nous sommes les témoins de cette ultime guerre sorcière. Ultime jusqu'à la prochaine. Nous poursuivrons notre vie en espérant ne pas avoir à y assister. Nous nous efforcerons de lécher nos blessures, de les oublier, d'apprendre d'elles, de grandir. De les travestir en tout ce qu'elles ne sont pas. Une blessure reste une blessure. Elle inscrit dans l'âme ce qui s'est vraiment déroulé et suppure la vérité, transcende le temps, la guérison ou le mensonge. Certains d'entre nous parviendront à s'inventer un sens à tout ceci, et passerons leur vie dans le déni. D'autres ne s'en remettront jamais, les yeux grands ouverts sur le vide qu'ils ont contemplé. D'autres, enfin, réussiront tant bien que mal à arriver au bout de leur parcours sinistre et sans but, en acceptant l'absence de réponses, en existant malgré elle.

Echec et MatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant