Scène 6 : Où un Ranger se retrouve réquisitionné malgré lui

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Garett n'était pas quelqu'un de sociable. Il n'était pas non plus quelqu'un d'avenant. C'était pour ça qu'il s'était formé au métier de Ranger et qu'il avait trouvé un poste dans un parc national. Son travail lui permettait de passer du temps seul dans la nature. Bien sûr, il devait aussi faire respecter les règles, s'assurer qu'aucun touriste ne se mette en danger ou encore encadrer des visites. Mais son travail lui permettait également de s'isoler, sans que quiconque trouve ça bizarre ou qu'on lui pose la moindre question. Depuis maintenant dix ans qu'il vivait et travaillait dans la région, il était connu comme étant un homme bourru et solitaire. Les gens du coin, tout comme ses collègues, s'étaient fait à qui il était et avaient appris à l'apprécier.

Alors quand John, son supérieur, avait annoncé durant une réunion d'équipe qu'un film allait se tourner dans le parc, Garett n'y avait pas prêté plus que ça attention. Il savait qu'il faudrait les encadrer et s'assurer qu'ils ne fassent pas de dégâts ou ne se mettent pas en danger, mais n'importe qui au sein de l'équipe pourrait se charger de jouer les baby-sitters. D'autant que lorsqu'ils avaient appris qui était le réalisateur, il n'avait pas manqué de volontaires pour ce job. Garett avait donc laissé ses collègues se chamailler pour savoir qui aurait l'honneur de travailler avec le grand Henry Scott.

Lorsque plus tard dans la journée John l'avait fait venir dans son bureau, il ne s'était pas méfié. Il s'était installé dans la chaise, avait croisé ses jambes et regardé l'homme qui était devenu un ami malgré la différence d'âge. John aurait pu être son père. Il avait la petite soixantaine et toujours un physique d'athlète. Au fil des années ses cheveux noirs avaient viré au poivre et sel et son visage s'était sculpté de rides. Il était le genre d'homme dont on pouvait dire que l'âge lui allait bien. Son regard gris acier avait scruté Garett un long moment avant qu'il ne lui assène la nouvelle :

— Je veux que ce soit toi qui encadre le tournage.

— Hors de question, avait répondu Garett du tac au tac.

John n'avait pas cillé. Ils s'étaient affrontés du regard. De longues minutes. John avait fini par soupirer.

— Pourquoi tu ne demandes à quelqu'un d'autre de s'en occuper ? avait demandé Garett en retour. Tu sais que je déteste devoir m'occuper d'un groupe.

— Eh bien justement. Tu as bien vu la réaction de tes collègues dès que j'ai parlé du réalisateur. Ils étaient tous comme des ados de 15ans. Des putains de groupies. Si l'un d'eux s'en occupe, il sera plus préoccupé par le tournage que par la sécurité et les règles. Pour peu que le réalisateur veuille faire quelque chose de stupide ou d'interdit, ils seraient capables de lui passer ses caprices. Alors que toi, tu n'en auras strictement rien à foutre.

— Super. Je suis puni parce que je suis professionnel, avait maugréé Garett.

John avait lâché un rire bref.

— Si tu veux le prendre comme une punition, vas-y. Ça ne me gêne pas tant que tu fais ton taf.

Garett avait croisé les bras sur sa poitrine dans une attitude revêche.

— Et je vais devoir travailler avec qui ?

La plupart du temps, les Rangers formaient des équipes de deux ou plus et tournaient les uns avec les autres. Garett avait ses préférences.

— Oliver. Son caractère sera un bon compromis avec le tien et il se rangera à tes décisions sans les remettre en question.

Garett avait grogné. Pour la forme. Oliver était le collègue avec lequel il s'entendait le mieux, malgré leurs différences de caractère. Oliver était aussi avenant qu'il était renfrogné et aussi bavard qu'il était laconique. Lorsqu'ils travaillaient ensemble, c'était toujours Oliver qui s'occupait des touristes et du contact. Cela convenait à Garett qui pouvait ainsi rester en retrait.

— Et ça va durer combien de temps cette connerie ? avait-il finit par demander, conscient que quoi qu'il dise il n'aurait pas le choix.

— Quelques semaines.

*

Quelques semaines.

John était définitivement un menteur. Il aurait plutôt du dire des mois. Cela faisait maintenant pratiquement trois semaines que l'équipe s'occupant des décors s'était installée et avait commencé à ravager la vallée avec le feu verts des responsables locaux. Entre les commerces, le saloon et le bureau du shérif, c'était carrément une petite ville de western qu'ils avaient ainsi recréé.

Pour l'heure, à la lueur du petit jour, elle ressemblait encore à une ville fantôme, mais elle ne tarderait pas à s'animer. Garett avait appris que l'équipe de tournage et les acteurs arriveraient aujourd'hui dans la journée. Une vingtaine de personnes. Sans compter le camion pour transporter le matériel et les générateurs électriques ainsi que deux camping-cars pour les costumes et le maquillage. Un véritable carnage. La vallée allait être complètement envahie. Et toute la ville et la région s'en réjouissaient. Certains habitants avaient même été embauchés pour jouer les figurants ; et parmi eux il y en aurait qui aurait quelques lignes de textes. Cela avait suffi à charmer tout le monde.

Pas Garett.

Il avait regardé d'un œil noir les nouveaux venus s'installer sur son territoire, et d'un œil encore plus noir lorsqu'ils avaient commencé à construire leurs bâtiments. Oliver avait bien essayé de le faire relativiser en disant qu'au moins ils n'avaient pas coupé les arbres de la région, mais ce n'était absolument pas le problème. Oliver ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre ; pour la simple et bonne raison qu'il ne savait absolument pas qui était réellement Garett. Tandis que le soleil se levait, Garett observa le terrain. Il ne pouvait pas nier que ça avait de la gueule. Même si jamais il ne le dirait à voix haute.

Les rayons du soleil l'atteignirent peu à peu et un frisson le parcourut alors que son sang se réchauffait et qu'il réfléchissait à la situation. Les ouvriers étaient partis hier, et il ne restait que les trois personnes en charge du décor pour le moment. Ce soir, il y aurait vingt personnes de plus. Et tout ce petit monde allait dormir au gîte de Dolores. Oliver et lui compris. Il avait bien tenté de négocier avec John, mais la ville se trouvait à plus d'une heure de route du tournage et cela représentait trop d'allers-retours. Le gîte de Dolores se situait à seulement quinze minutes et était suffisamment grand pour accueillir tout le monde. John n'avait rien voulu entendre et Garett avait dû céder faute d'arguments valables et avouables.

Et toute cette histoire allait durer huit semaines.

Il avait fait les comptes. Durant ce laps de temps, il y aurait deux pleines lunes. Trois si l'équipe de tournage trainait un peu plus longtemps dans la région. Avec autant de monde et autant de temps, Garett ne réussirait jamais à garder son secret. 

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