PARTIE XIII

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La jeune femme percevait les clameurs de la houle ivoirine sous ses jambes ankylosées. Les salves océanes déferlaient encore, et encore. Une légère brise sifflait dans son dos tout en déposant quelques embruns sur ses pieds hagards. Aurore admira cette mer de nuages mouvementée de toute son ampleur. Une grande flotte de caravelles argentées gonflait ses voiles pour embrasser l'écume de l'abîme céleste. Les sublimes navires pourfendaient l'onde, modelaient avec douceur les courbes des flots et décuplaient la force des vagues. Chacun de ces vaisseaux cajolait le gouffre angélique de sa proue volutée et parait l'azur comme les constellations fleurissaient la nuit. Les nuées riaient aux prairies céruléennes et brillaient dans cet univers d'opale. Et les processions empanachées convergeaient toutes dans la même direction, comme attirées par l'éclat de l'orient.

Aurore se précipita parmi les batelets, empoigna la coque brumeuse d'une embarcation, puis se laissa porter par le courant. La jeune femme dériva longuement dans les eaux caressées par le souffle de la galerne. Autour d'elle, l'empyrée déclinait de la pâleur de la pervenche au plus flamboyant des turquoises. L'éther s'illuminait, s'éclaircissait, reflétait des nuances bleutées toujours plus étincelantes à mesure que la flamme d'Aurore se consumait dans la brume gaillarde. L'espace ne rougissait plus d'elle, et la nymphe demeurait à présent en royaume aussi calcédonieux qu'inconnu.

La jeune femme s'extirpa du torrent impétueux et se souleva jusqu'aux berges azurines. Elle rebattit ses mèches rousses et hirsutes puis contempla langoureusement l'horizon. Aurore soupira, le paysage était parfaitement nébuleux, empreint d'une intense mélancolie veloutée. Pourtant, le brasier de la jeune femme semblait peu à peu émaner de sa poitrine et se dissiper au sein du berceau de l'aube. Les chimères de son amour s'enivraient d'autres ardeurs grisées et s'enlaçaient rapidement aux fumerolles scintillantes. Ni les champs de centaurées, ni les fleurs blanches de l'océan ne prononçaient de sons plus puissants que la chamade de son cœur.

Soudain, une vive lueur éblouit le ciel de septembre. Lentement, une multitude de rayons percèrent l'épaisse couverture nuageuse et se répandirent dans les pétales bleus. Les bateaux célestes se murent entre les faisceaux dorés, paraissant escorter cette étincelle angélique à la surface de l'océan translucide. Puis tout à coup, la lumière émergea des flots brouillés, à une distance considérable des pupilles charmées d'Aurore. L'éclat de ses albes nitescences submergeait les prairies aigue-marine et noyait les alentours d'ambre et de poudre dorée. La jeune femme, elle, resta comme enchantée, baignée par les rayons de cette mystique apparition. Le divin mirage avait insufflé assez de sa clarté naturelle pour commencer à combler les fissures de son cœur, répondre aux tourments de son âme, assécher le chagrin de ses réminiscences et apaiser les brûlures de sa passion. Un ange la coulait sous une gave lumineuse.

La lumière éclatante de pureté s'approcha doucement d'Aurore, et les traits de son visage se dessinèrent au travers de son voile moiré. Deux perles d'azur luisaient, baignées de lagunes cristallines, et brillaient plus encore que sa longue tunique, blanche comme la neige éternelle des sommets éminents et vierges. La jeune femme voulut s'amarrer, ancrer son cœur aux fondations de ce phare en pleine mer, mais son âme ne fit que divaguer tant elle cabotait de brillance en reflet. Et comme elle n'aperçut aucun autre rivage plus somptueux, Aurore fut condamnée à noyer son cœur, à couler toute entière sous l'écrin de ses songes.

Ce ne fut que lorsque l'enfant du cosmos détourna ses yeux pour éclipser un sourire gêné que la lycéenne put refaire surface et découvrir, un à un, d'autres éclats de sa beauté solaire. Une longue chevelure blonde comme les blés au printemps courait le long de son échine et s'échouait à l'arrière de ses cuisses. Sa peau, d'un teint légèrement halé, contrastait avec la couleur cerise de ses lèvres. Son apparence réservée et ses mouvements parfois maladroits illustraient sa grande timidité mais la rendaient incroyablement lumineuse. Mais des deux femmes, Aurore était assurément la plus perdue, en manque de repères dans ce ciel immense, et l'ange diurne le savait. Alors sans un mot, sans même réfléchir, elle l'étreignit dans ses bras étincelants. Le velours de ses mains astrales apaisa son corps brûlant. Amoureuse de la lune, Aurore était choyée par les éclats du soleil. Et son cœur débordait de lumière.                         




Les éclats d'AuroreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant