Chapitre 1

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-Emma, on va être en retard !

La jeune fille leva les yeux au ciel, un léger sourire sur les lèvres. Combien de fois avait-elle entendu cette phrase sortir de la bouche de son frère ? Et surtout, combien de fois étaient-ils arrivés des dizaines de minutes en avance au lycée ? Pour elle, sa dernière année là-bas était sa dernière en Angleterre. Elle voulait aller étudier en Amérique, elle voulait rejoindre cette école de danse qu'elle convoitait depuis tant d'années déjà, à New York. Non, ce n'était pas le rêve américain qui la poussait à s'éloigner de sa famille, mais bien le rêve d'une vie. Elle n'en pouvait plus de ces locaux sans âme dans lesquels elle étudiait depuis bientôt trois ans. Son jeune frère, quant à lui, paraissait toujours heureux de s'y rendre. Une chose qu'elle ne comprendrait jamais. Comme la plupart de ce qui l'entourait d'ailleurs. Elle avait son monde, son propre monde. Celui-ci tournait essentiellement, voire entièrement, autour de sa passion depuis son plus jeune âge, la danse. Elle savait qu'elle n'était pas la seule fille de presque 18 ans à vouloir percer dans ce domaine, et elle était consciente de la pression et de la concurrence. Mais cela lui importait peu. Elle aurait juste souhaité un peu plus de soutien du côté de sa mère. Elle était le dernier parent qui lui restait, et elle désirait plus que tout l'amour véritable d'une mère. Depuis la mort de son père, les deux femmes avaient vu leur relation se détériorer considérablement, sans pour autant y remédier vraiment. Sa mère, plongée dans la tristesse depuis plus de six ans, n'avait émergé qu'il y a quelques années de cette mauvaise passe. Emma, elle, avait eu du mal à se remettre du décès de son père, dont elle était proche. Il était le seul à la comprendre et à l'encourager. Il l'avait toujours poussée à aller de l'avant, à tout faire pour réaliser ses rêves. Quand la maladie l'avait emporté, elle n'avait que 12 ans. Le choc avait été dur pour elle. Elle avait été obligée de devenir indépendante très rapidement, au lieu de profiter de ses années adolescentes, innocentes. Son frère n'avait jamais parlé de sa peine, mais Emma le savait, une cicatrice avait été ouverte et personne ne pourrait jamais la refermer, pas même elle. Au contraire de sa mère et elle, ils s'étaient énormément rapprochés, au point de former un duo inséparable, complice. Leur mère n'avait jamais rien dit sur son plaisir de les voir si soudés, Karen ne laissait rien paraître. Pas le moindre sentiment. Tout du moins, en public, et même en présence de ses enfants. Elle s'effondrait souvent, le soir tombé tout comme le masque qu'elle se forgeait, grâce à son maquillage sévère et semblable jour après jour, et grâce à sa ténacité. Une fois la lumière des projecteurs, comme elle se plaisait à l'appeler, disparue, elle redevenait cette femme sensible, qu'un rien pouvait blesser. Elle redevenait cette femme qui avait été aimée si fort par un homme au grand cœur. Geoff lui manquait affreusement, et elle avait l'impression que malgré la volonté qu'elle avait réussi à trouver deux ans auparavant, sa douleur ne s'effacerait jamais, et qu'elle ne ferait jamais son deuil.

Emma retira ses écouteurs. Elle avait pris cette habitude, chaque matin, au lieu de descendre manger avec sa mère et son frère, de rester allonger, une fois ses cheveux blonds noués ensemble en une queue de cheval parfaitement arrangée, ses dents brossées et ses affaires mises dans son sac de cours, et de se laisser transporter au son de ses chansons favorites. Ce petit moment où elle se retrouvait seule, libre d'écouter ce qu'elle voulait, libre de penser, de rêver, avant une journée éprouvante au lycée. Elle avait envie de changement. Dans sa tête, il avait été fait depuis longtemps. Elle était prête à partir, s'éloigner de tout ce monde, de sa routine trop banale pour elle. Mais le temps ne lui permettait pas, et il lui paraissait qu'il jouait avec elle, laissant passer encore plus lentement les jours. Ce n'était que le mois d'octobre et pourtant Emma avait déjà l'impression d'avoir vécu un siècle depuis le début de l'année.

Elle rejoignit Liam dans le rez-de-chaussée. Celui-ci lui tendit sa pomme habituelle, qu'elle mangerait sur le chemin les menant au lycée, quelques pâtés de maison plus loin. Ils s'y rendaient seuls, Emma n'ayant pas réellement d'amis au lycée, et Liam ne voulant pas imposer à sa sœur la présence des siens, plutôt nombreux.

Ce matin, le temps était frais, une légère brise fouetta le visage aux traits quasiment parfaits de la jeune fille. Elle n'avait aucune idée de la beauté qu'elle dégageait. Elle ne se maquillait pas, et sa queue de cheval lui allait parfaitement, mais n'exprimait aucunement une folie ou une impression de supériorité de sa part. Elle était extrêmement timide. Le trajet se faisait souvent dans un silence simple, les deux frère et sœur promenés dans leurs pensées, l'un pensant à tout ce qu'il ferait avec ses amis une fois arrivé, aux notes moyennes qu'il récolterait, aux quelques bêtises auxquelles il prendrait part, l'autre pensant à l'an prochain, dans l'école de ses rêves, à se battre pour ce qu'elle voulait.

Comme toujours, Liam partit, après avoir embrassé le front de sa sœur. Ils ne se reverraient que le soir, au moment de rentrer, et il lui conterait sa journée, des plus trépidantes comme toujours. Elle l'écouterait, heureuse pour lui, mais pas totalement attentive. C'était leur routine à eux.

Elle se dirigea vers la bibliothèque. Elle ne commençait les cours seulement à neuf heures, comme tous les lundis, mais ne restait jamais au lit, comme ses camarades de classe. Elle préférait étudier, se renseigner sur différentes choses pour son avenir, qui se rapprochait à petits pas. Elle s'installa à une table, qui était presque devenue la sienne à force de l'utiliser. Les minutes passèrent, rapides. Alors qu'elle était plongée dans l'étude d'un nouveau livre qu'elle venait de découvrir, traçant l'histoire d'une jeune fille née pour danser, elle se redressa. La bibliothèque, habituellement calme, venait de s'agiter, plus ou moins. Le proviseur était rentré, suivit d'un jeune homme aux cheveux bouclés, qui devait avoir son âge.

-Je vous le laisse, nous sommes d'accord ? Il sera en cours l'heure prochaine, il vous reste une vingtaine de minutes pour lui fournir ses livres et la paperasse. Installez-vous à la table là-bas, monsieur Styles, Irène va s'occuper de vous.

Le jeune homme se dirigea vers la table indiquée par la documentaliste. Emma ne savait s'il paraissait timide ou sûr de lui. Son style vestimentaire, tee-shirt noir, tout comme son pantalon, et converses noir et blanches ne laissaient pas passer beaucoup de personnalité. Mais les quelques tatouages, parsemés sur son corps, cachés par son habit simple, pouvaient laisser penser que le jeune homme faisait partie de ces tombeurs, des gars populaires que toutes les filles voulaient.

Cela faisait quelques minutes qu'Emma dévisageait cet inconnu, sans se rendre compte qu'il faisait la même chose. Quand elle s'en aperçu, elle baissa les yeux, honteuse. Cela ne lui ressemblait pas, dévisager n'était pas son loisir favori, et se faire prendre en train de le faire encore moins. Elle sentait son regard sur elle, mais elle ne voulait pas le fixer à nouveau. Elle essaya de se replonger dans sa lecture, mais elle n'y parvenait pas. Tout ceci n'était que quelques minutes de sa vie, mais pourtant le temps semblait s'être arrêté, sans raison. Elle se prit à vouloir connaître son nom, la couleur de ses yeux, son âge, sa classe, tout. Mais pourquoi ? Il venait d'arriver, et ils ne faisaient visiblement pas partie du même monde.

-Harry, voici tes livres. Il y a normalement tout. Je te donne les papiers qu'il te faut remplir, quelques-uns par tes parents.

Harry. C'était donc ça son prénom. Elle sentit une légère chaleur lui brûler les joues. Pourquoi réagissait-elle comme ça ? Peut-être parce qu'à part son père, son frère et quelques exceptions faisant partie de son cercle de connaissances, aucun homme ne l'avait regardée aussi longtemps. D'autant plus qu'ils devaient avoir le même âge.

A la fin de l'heure, elle se précipita hors du lieu, se hâtant de rejoindre sa salle de classe. Elle se trouvait tout le temps au premier rang, pour s'assurer de passer pour une bonne élève, même si elle se retrouvait souvent plongée dans ses pensées, mais malgré ça, elle réussissait à exceller et récoltait les meilleures notes. Cette fois-ci, elle était le long du mur, directement après la porte de la salle. Elle s'installa, elle était sans surprise la seule élève présente. Ses camarades arrivèrent, bruyamment. Chacun s'installa à sa table, le fond de la salle remplit tandis qu'au premier rang il restait une place libre, directement en face du tableau. Et à sa gauche. Le prof commença, arrivant tant bien que mal à calmer ces adolescents, presque adultes, toujours insouciants et la plupart simples d'esprit, souhaitant seulement s'amuser, boire et faire la fête. Le lundi était la journée la plus bruyante de la semaine, un par un ils voulaient tous raconter leur week-end, qui était toujours plus fou que celui des autres. Le cours commença, dans une atmosphère lourde et plombante, à l'image du cours ennuyant. Mais celui-ci allait être différent.

Le temps d'une danse II H.S.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant