Chapitre 1

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Je déteste le chiffre onze et ce depuis que je suis petite. Peut-être est-ce juste dû au fait qu'il a toujours eu mauvaise réputation chez nous à Homs. Mais ce que je sais, c'est la première fois où j'ai réellement commencé à le haïr. Jamais je n'oublierai cette date. Ce jour, on m'a coupé une racine qui aurait dû rester à mes pieds pour me faire grandir et ce n'était que le commencement du périple qu'ordonna Allah. Je vais vous raconter mon histoire vers la liberté dans un monde poussé par la haine et le profit. Ecoutez bien, il s'agit peut-être aussi de votre vie et celle de votre famille. Laissez donc mes souvenirs envahir votre propre mémoire.

***

Maman lit lentement. Elle dit qu'ainsi les paroles restent plus longtemps dans la tête et que la concentration ne la quitte pas. Pourtant moi sur le tapis de notre petite maison, je joue avec mes longs cheveux noirs qui dépassent du niqab. Je fais semblant d'écouter les paroles que maman essaye avec peine de me faire apprendre. Je regarde dehors avec une envie grandissante.

« Aya ! Tu m'écoutes ? C'est important de connaître l'Islam, tu ne peux pas penser à autre chose. Tu risques d'attirer la colère d'Allah sur toi. Tu as onze ans maintenant. Tu es grande !». Je sens justement la colère monter dans ses yeux bien que le reste de son visage soit caché.

-        Mais maman je ne l'ai jamais vu... Comment pourrais-je y croire ?

-        « Allâh Ta'âlâ 'afi l-Lâhi chakk. »

-        « Il n'y a pas de doute au sujet de l'existence d'Allah. » Je le sais mais...

-        Il n'y a pas de mais ! Maintenant écoute et apprends. Si tu continues, Allah va te chasser de la maison. Et alors, adieu nos cours de français privés donnés par ta Tante le jeudi.

Maman continue alors sa lente et ennuyeuse lecture. Je maudis Allah de tout mon être. À cause de ce Dieu, je ne peux pas sortir, ni faire le moindre geste sans qu'on me rappelle qu'il voit et entend tout. Je suis prisonnière de cette cage, de ces paroles que tout adulte me répète sans cesse chaque jour. Pour être sûre qu'il m'a bien entendue, je redis plus haut : « Allah, je te hais. »

D'un coup, les murs se mettent à trembler. Le tonnerre gronde autour de moi et brise les vitres de la pièce. Mon corps se paralyse et je tombe à genoux sur le tapis tant le vacarme de Dieu se déverse sur moi. Je sens une pression sur moi, comme si on s'appuyait contre mon corps pour me forcer à descendre en enfer. Je veux hurler et me défendre, mais ma peur continue à me paralyser. Dehors c'est la furie, je vois un brouillard gris envelopper le jardin et entrer dans la maison. Par vengeance, il entre dans ma bouche et s'amuse à me torturer de l'intérieur. Impossible de le faire sortir en toussant. Si bien que chaque respiration me fait comme des aiguilles qui se plantent dans ma gorge. À ceci s'ajoutent les horribles bruits venant de l'extérieur des murs. Jamais je n'avais entendu de pareils sons et ma chair entière se fige. La peur prend possession de mes muscles qui se contractent et m'abandonnent là, comme un déchet se faisant aspirer par la fumée de l'enfer. D'un coup, mes yeux me piquent et les sons assourdissants me donnent envie de vomir. Je crie avec mes dernières forces : « Allah pardonne-moi ! »

Tout ne dure qu'un instant et, pourtant, c'est pour moi une éternité atroce ; le silence vient enfin reprendre sa place habituelle. Mais rapidement, j'entends des hurlements et des pleurs venant de la rue. On crie des noms, des insultes ou encore des prières de détresse. Je suis horrifiée. Comment vont réagir les voisins quand ils apprendront que c'est ma faute ? J'ai attiré la fureur de Dieu en lui manquant de respect et ils souffrent maintenant de mon péché. À cet instant, on me soulève brusquement du sol et je sens des bras me serrer fort comme pour m'emporter ailleurs. Le diable ! Enfin, je peux crier, évacuer toute ma peur dans un cri strident de désespoir.

On me sort brutalement de la maison et on me force à courir. Maman... C'est ma maman qui me tient la main et me conduit loin de cette horreur. Maman m'a arraché du corps du diable et on court pour fuir ce monstre. Ma maman me parle, je crois, mais mes oreilles ne fonctionnent plus. Il est là. Allongé de tout son long, les membres déchiquetés et les yeux grands ouverts parmi les autres corps inertes du café du coin.

« Papa ? Papa ... ? Papa ! »

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Hello, je poste mon travail de maturité sur la plateforme pour l'utiliser comme défense orale... j'espère que ça va fonctionner car je devrai analyser les « j'aime» ⭐️ , les commentaires 📝 et le nombre de lecteurs.

Je posterai tous les 2-3 jours, il y a 12 chapitres.

De Vive Voix [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant