Je m'amuse à me balancer sur ma chaise, avant de me faire remarquer par le professeur. Une angoisse profonde prend possession de mes jambes. Plus je vois l'ombre humaine se rapprocher, plus j'ai envie de crier, d'appeler ma maman. Elle m'aurait un peu grondée, mais elle est jolie ! Donc elle ne peut pas être méchante. Lui, cette ombre en approche, est laid. Pourquoi ne peut-il pas être beau ? Pourquoi est-il moche et méchant ?
Mes larmes coulent et viennent mouiller mon pull lorsque ce monstre me retire ma chaise et reprend son cours, me laissant seule debout au milieu des élèves. Maman, j'ai peur ! Peur des ricanements de mes camarades... Maman ? Tu me manques, toi, comme tes cours sur le tapis. Pourquoi on est parti de Baba Arm depuis un mois ? J'aimais notre maison. J'ai grandi sur ce tapis avec tes cours ennuyeux et les câlins de Papa... Papa... Il me manque, tu sais ? Tu dis toujours qu'il est là, mais moi, je ne le vois pas. Papa est mort. Papa est mort en février... Tu le sais bien ! Tata n'arrête pas de le répéter. Alors pourquoi tu continues à me mentir ?
Maman ? J'ai peur. Je veux rentrer et te prendre dans mes bras et encore entendre ton chant de Al-Fatiha. Je te promets Maman, je serai sage toute la fin de journée. Les cours suivants, j'ai suivi attentivement et tout noté. J'espère que tu seras fière de moi. Pourtant, à la fin des cours, tu n'es pas là. Tata est devant moi, pas toi. Maman, tu es occupée, c'est ça ? Tata a l'air triste mais on va acheter deux glaces, malgré le petit vent de mars.
« On passera chez toi à Al-Adawiyé chercher quelques affaires dans quelques jours quand la zone sera sûre. En attendant, tu viendras vivre chez moi un moment, d'accord ? », demande-t-elle, une larme coulant sur sa joue rosée.
« Pourquoi ? On ne peut pas renter ? Elle est où Mère ? Elle est partie sans moi ? Elle n'a pas le droit de me laisser. Je veux voir ma mère ! Elle doit me chanter avant d'aller dormir la Al-Fatiha. Je ne veux pas vivre avec toi ! Je veux ma maman ! »
Je la sens encore sur ma peau. La douleur remonte sur ma joue. Je vois Tata en pleurs devant moi. La main encore au niveau de mon visage. J'ai peur Maman... Je veux te voir. J'échappe à la main qui cherche à m'attraper. Je cours sur mes petites jambes de onze ans. De plus en plus, mon cœur s'accélère. J'ai vraiment très peur pour maman. Pourtant, j'ai été gentille aujourd'hui...
Lorsque j'arrive dans mon quartier, je m'arrête net. Mes mains viennent étouffer mon cri. Maman... Je regarde les taches de sang sur le sol. Les murs se sont transformés durant mon absence ; je ne les reconnais pas. Je vois les femmes couvertes de rouge et des sortes de marques bizarres sur leur corps immobile. Un enfant secoue sa mère. Il est rouge aussi. Le même rouge qui teinte tout mon nouveau quartier. La zone est fermée par une simple corde à bétail. Les gardes de la loi, enfin je crois, pointent leurs armes en direction des gens. Je ne sais pas ce qui se passe. C'est Tanti, sûrement, qui me tire en arrière. Pourtant, mes jambes refusent de reculer. J'avance comme si je suivais un guide. Je passe sous la cordelette. Le garde me regarde et me laisse avancer, tout en retenant ma tante qui crie mon nom. Pourquoi ne m'arrête-t-il pas ? Je ne sais pas et je ne le saurai peut-être jamais.
J'entre dans la cour. Mes pieds et mes jambes se sont adaptés au décor et sont devenus de la même couleur que le sol. La porte de chez nous est cassée. Il fait sombre. J'ai peur. Pourtant, je veux revoir ma Maman. Je sais qu'elle est là. On me l'a dit sûrement. Je ne sais plus. Mes pas résonnent dans le vide. Je cherche timidement du regard le long et bleu caftan de Maman. Je ne trouve rien. Je ne sais pas si je voulais vraiment la trouver étendue et immobile, recouverte de rouge sur la peau. Mais ne pas la trouver m'inquiète encore plus.
Est-ce que je rêve ? Des coups de feu sont tirés dans la rue. Un homme se précipite sur moi et me lance sur son épaule. Je retourne à la lumière laissant sur place le cadavre de ma mère qui regarde notre photo familiale au mur. Encore un mur rouge. Je sais qu'il s'agit du dessin de son corps lors de sa mort. Mais alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas triste ? Maman est morte. Maman est partie le 11 mars 2012. Je ne sais pas. L'ai-je réellement vue ?
Le soldat me dépose derrière la fine cordelette qui semble presque se casser. Tanti me tient par la main et me force à courir. J'entends les cris de femmes derrière moi. Encore des coups de feu. Partout, le son de l'horreur remplit ma tête. J'imagine le quartier se noyer dans une mer écarlate. Maman avait un tissu écarlate, pour les grandes fêtes. Je me demande si je la reverrai le porter. Maman est morte le 11 mars 2012. Cette phrase hante ma tête. De plus, les tirs et les hurlements font jaillir mes larmes. Maman est avec Papa. Papa est mort le 9 février de la même année dans la colère d'Allah. Maman rejoint Papa en empruntant le long fleuve rouge écarlate qui se dessine dans le quartier.
Je suis maintenant sur une chaise. Mes larmes dessinent le contour de mon visage et aussi celui de Tanti. On s'est installées dans le lit. Aucune de nous deux ne bouge. On attend un signe, quelque chose pour réagir : un murmure, un son, un téléphone. Je ne ressens rien. Je ne sais plus. Je me sens vide. J'aimerais crier, hurler toute ma douleur. Mais la peur me paralyse. Maman disait qu'Allah rappelait les gens, une fois leur devoir terminé sur Terre. Si je crie, je refuse à ma Maman de rejoindre Papa. J'ai peur. J'ai peur de cet homme dont j'entends parler chaque jour, chaque heure. Je ne le connais pas mais je crois qu'il ne me veut pas du bien. D'après Maman, il n'est pas laid. Alors il n'est pas beau. Je l'imagine moche.
En sursaut, oui ; c'est en sursaut et en criant de toutes mes forces que je me suis réveillée ce matin. Mère, durant la nuit, tachée de sang et de blessures tendait sa main vers moi, répétant sans cesse que je l'avais abandonnée à la maison. Je me mets à genoux. Je baisse doucement ma tête sur le tapis. Je prie. Je prie Allah de laisser ma mère être heureuse. Je prie pour ne pas la revoir souffrir. Ma sueur dégouline sur mon dos et des larmes tombent de mon menton. Je pleure, je crie, je hurle. Tout se bouscule. Rêve ou réalité ? J'ai beau courir, la main de Mère revient sans cesse toucher mon épaule. Je sens un liquide chaud et rouge glisser sur mon corps. Mère crie et m'accuse de la laisser seule...
Tout n'était qu'un rêve, mais je suis bien là, tenant la main de Tanti, devant les tombes de Père et Mère. Je dépose délicatement des petites fleurs. Je prie une dernière fois pour leur âme.
« Mère, Père... Je pars vivre chez tante Valérie. Je viendrai te voir avec la belle robe écarlate à ton réveil, Mère. "Ceux qui croient et qui s'apaisent au souvenir de Dieu. N'est-ce point par le souvenir de Dieu que s'apaisent les cœurs ?". Tu me le répétais sans cesse quand Papa est parti. Maintenant, je le ferai pour vous deux. Je vous aime. »______________
Voila le petit deuxième chapitre, j'espère que vous aimer 💕
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De Vive Voix [Terminé]
General FictionSyrienne de sang, Aya va découvrir la mort et fuire une guerre qu'elle ne connait pas. À travers les pertes, les joies et les pleures, cet enfant va essayer de grandir et de se forger un avenir dans un monde qui la rejète. Migrante un jour, Suisse...