Chapitre 7

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Je suis là. Seule et abandonnée devant toi. Je te tiens fort la main, espérant voir tes lèvres bouger ; ton ami est là aussi. Il me regarde avec colère comme si c'était ma faute. Cela fait des jours que tu es là, allongée sur ce lit d'hôpital. Mais aujourd'hui, c'est différent. Tes longs cheveux noirs ne sont plus là. Tu les as coupés. Pourtant tu étais jolie avec ta chevelure sombre qui te donnait ce petit air sévère et rude. Ton ami te regarde puis me regarde. Suis-je fautive de ce qui t'arrive ? Tout ce que je sais, c'est que tu manques la floraison des magnifiques tulipes du mois d'avril. Je voulais tellement aller à Morges les voir avec toi.

Mais tu restes là, immobile et pâle. Ton cœur ne bat plus. Le joli sourire aux dents blanches que tu montrais a disparu. Jusqu'à la fin, tu as tenu à te battre. Je revois encore ta joie et ta tranquillité, tes premiers jours dans cette pièce blanche et froide. L'argent. Tu répétais sans cesse que sans argent tu ne sortirais pas d'ici. Et tu avais raison. J'ai appris au centre d'insertion le sens du terme « migrant ». Quand je pense que je le tenais en estime alors que c'est ce dernier qui te fait mourir. Je resserre mon emprise sur ta main. L'homme se lève. Il a toujours cet air si froid et distant. Il a dit qu'il ne s'occuperait pas de moi, que je n'étais pas de la famille. Où vais-je aller ? Je ne sais pas. Je me contente juste de regarder ta peau livide et de prier. J'ai peur, tu sais ? J'ai peur de la mort et de l'abandon. J'ai envie de crier, de m'échapper de mes angoisses, de tout lâcher. Ainsi, je pourrai tout recommencer. Mais cela est impossible. Mère ne se réveillera pas à mon retour, Père ne me prendra plus jamais dans ses bras, et je ne reverrai jamais le magnifique sourire que tu arborais tous les jours.

Les médecins me mettent à la porte. Il y a une femme. Une petite femme d'environ quarante ans qui s'occupe de moi. On appelle cela une assistante sociale. Elle me parle de choses importantes, je le sais, mais impossible de détourner le regard de ta chambre. Tu es là derrière, toute froide et blanche. Et tu ne vas avoir que des funérailles catholiques : pas de chant, pas de banquet, ni de cérémonie musulmane pour toi. Ton ami refuse. Je le hais. Il devrait savoir que l'islam est notre foi. Alors pourquoi s'obstine-t-il à vouloir te priver de l'au-delà, à avoir voulu ces derniers mois te faire changer de religion ?

Encore une fois, je suis seule. Seule à quinze ans. Je suis la dame sans dire un mot. Je ne sais pas pourquoi elle est là. Je n'ai pas écouté. Je suis perdue dans un pays que je ne connais pas, qui refuse ma présence et qui me chasse dans les bras d'inconnus. Valérie, tu rejoindras Allah en lui offrant ton corps qui jour après jour se tuait. J'espère que tu verras Père et Mère là-bas et que vous ne m'oublierez pas. Chaque soir, je prie Allah pour vous rejoindre. Je ne peux pas avancer seule. Je prie pour chasser mes cauchemars, je prie pour votre salut, je prie pour notre terre qui connaît sang et ravage, je prie pour notre peuple qui meurt chaque jour. Pour finir, je prie pour vous revoir.

La femme me prend doucement dans ses bras, moi je reste vide face à son attention et reste fixée sur ta porte. On s'assoit sur des chaises. Elle a dit qu'elle attendrait que je sois prête pour partir. Je ne partirai pas, elle devrait le savoir. Je regarde d'un regard noir les gens ayant le droit d'entrer et de sortir de ta chambre. Je les envie de pouvoir encore te toucher, te voir et t'admirer sur ton lit de mort. Moi ? On m'oblige à sortir et à retenir mes larmes en me répétant sans cesse que je suis forte. Non ! je suis faible ! Je n'ai pas pu t'aider, j'aurais dû vendre mes petites peluches, vendre ces jolis souliers bruns qui t'ont coûté si cher... Je regarde cette porte avec haine, cette dernière se noie avec mes larmes. Ton ami sort de la chambre, sans me regarder. J'aimerais le frapper pour qu'il te regarde et qu'il t'aide. Mais non, lui, il part loin de toi. Il t'oublie sans rien dire, sans rien te dire et récupère de toi toutes tes possessions sauf moi. Il me rejette. Mes sanglots sont de plus en plus prononcés au point de m'en mordre la lèvre. Un goût de ferraille envahit ma bouche. L'assistante sociale le remarque et appelle rapidement un médecin.

Chère Valérie, je ne suis qu'une boule de haine à cet instant. Je ne peux même pas venir te voir et pleurer contre toi. Je ne sais pas si tu m'entends mais je suis tellement mal. Je ne veux pas que tu partes loin de moi. Valérie... Pourquoi me laisses-tu seule au début de la nouvelle année ? On s'était promis de passer 2016 ensemble ! Valérie m'a quittée... Elle est partie le 7 mai 2016.

De Vive Voix [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant