Encore une fois, je m'installe à mon pupitre et j'écoute les cours de français. Je ne sais dire si c'est difficile ou non. Mes camarades y arrivent facilement. Moi, je peine encore beaucoup. Mes accords sont faux, mes terminaisons aussi et il y a tellement d'exceptions que je n'arrive pas à toutes les retenir. Je me sens un peu bête... J'écris toujours « les chevals » au lieu de « les chevaux ». Je sais qu'il s'agit d'une exception mais rien à faire. Et puis, je n'ose pas en parler avec mon professeur. Sa tête me rappelle le maître qui m'avait laissée seule debout durant son cours. Je suis pétrifiée quand il me regarde ou m'interpelle pour la réponse. Moi qui avais soif de connaissances, j'aimerais me cacher dans mon lit et rester avec la famille. Pourtant, il faut bien que mes notes augmentent pour ma dernière année d'école obligatoire. Alors Madame Surnaut, la mère de la famille d'accueil, est venue avec moi pour voir mon enseignant. Il fallait le voir pour le croire. Mon maître a eu un regard tellement rempli de compassion à mon égard : outre le fait que cela lui faisait de la peine que je ne vienne pas vers lui en cours, il m'a mis à disposition des exercices supplémentaires et il est souvent venu contrôler mes devoirs et m'expliquer mes fautes.
Un autre problème régulier est la prononciation. Beaucoup de sons de ma langue maternelle ne sont pas utilisés et beaucoup de nouveaux sons apparaissent pour moi, ainsi que des lettres. Il me faut beaucoup plus de temps pour les assimiler et les utiliser correctement. Mais le pire je crois, c'est d'apprendre l'allemand et l'anglais. J'ai suffisamment de peine avec une nouvelle langue, mais voilà que je dois en apprendre trois à la fois. Je passe des heures à réviser mais rien n'y fait... Mes résultats restent décevants et insuffisants. J'ai beau essayer encore et encore, les années passent et je ne parviens pas à obtenir autre chose que l'échec ou la suffisance pour passer à l'année supérieure. Pourtant, je fais tout pour travailler et ne pas retourner dans les classes spécialisées. Je crois que j'inquiète aussi la famille. Elle perçoit mon angoisse et aussi ma fatigue. L'aînée ne peut plus m'aider, elle suit des études à l'UNIL et ne peut plus prendre du temps pour moi. Sa sœur cadette est partie en séjour linguistique pour sa deuxième année de gymnase. Je me retrouve seule face à mes problèmes.
Je commence à haïr cette langue. Décidément, l'école ce n'est pas pour moi. Je me débrouille encore pour tout ce qui est logique et science quand le français n'est pas une entrave, mais sinon je suis totalement perdue. À la fin de l'année scolaire 2016, je sors de l'école obligatoire avec une simple attestation de fin d'étude. À quinze ans, je ne possède rien d'autre. Je n'ai aucune porte ouverte face à moi. Les gymnases me sont fermés, adieu mon travail d'avocate ou d'écrivaine. Je me sens désespérée, de nouveau mise à l'écart de ce monde. Cette petite place que je chérissais semble disparaître sous le poids de mes notes. Je commence à me morfondre et à penser que je suis fautive de mon échec. J'aurais dû travailler plus! Je me le répète tous les soirs lorsque j'entame mes formulaires de langues qui m'aident à dessiner l'écriture liée. J'aime beaucoup ces petits dessins : traits droits et identiques que je dois répéter sur deux pages. Je n'ai pas baissé les bras, mais je me sens à part... seule et laissée pour compte. C'est comme si ce monde refusait de m'ouvrir ses plaisirs et ses lois. Il me met à l'écart avec indifférence et fait entrer dans mon cœur un sentiment de désespoir.
Avant que je ne touche le fond, la famille Surnaut m'a payé une école privée avec l'aide d'associations pour les migrants et étrangers. Donc depuis quelques mois, je suis des cours dans une toute petite classe. La salle est grande, c'est juste que nous sommes à peine dix élèves par classe. Je comprends mieux les explications, on prend plus de temps pour m'expliquer les règles et corriger mon français. L'allemand et l'anglais sont venus naturellement après la maîtrise du français. Je suis plutôt douée. Mes notes sont bonnes, correctes, très correctes même.
Aujourd'hui, le 4 juillet 2017, j'obtiens mon certificat. Je me suis inscrite au gymnase pour, plus tard, devenir avocate. Je pense avoir trouvé ma voie. Je ne sais pas encore comment y parvenir mais maintenant, j'ai un but à atteindre : aider les jeunes comme moi à s'intégrer dans un pays et protéger leurs droits. La famille d'accueil trouve mon idée très humaine et généreuse. J'espère que Mère, Père et Valérie seront fiers de moi. Depuis, je travaille nuit et jour pour satisfaire la famille, mais aussi me rapprocher de mes envies. Durant les vacances d'été, j'ai dû faire les démarches pour obtenir un permis C avec Madame Surnaut. C'est encore en cours de délibération ; en attendant, mon permis B me permet de rester ici et de continuer mes études. Plus tard, je rêve d'être une avocate suisse reconnue et de pouvoir aider autrui comme on m'a aidée durant mon enfance. Mais tout d'abord, il faut que je révise mes accords qui ne sont toujours pas parfaits.
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De Vive Voix [Terminé]
General FictionSyrienne de sang, Aya va découvrir la mort et fuire une guerre qu'elle ne connait pas. À travers les pertes, les joies et les pleures, cet enfant va essayer de grandir et de se forger un avenir dans un monde qui la rejète. Migrante un jour, Suisse...