Chapitre 8

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Voilà déjà presque une année que je vis chez des personnes adorables. J'arrive de mieux en mieux à communiquer avec elles. Ma famille d'accueil, je l'adore. Certes, j'ai toujours de la peine à manger ce qu'elle prépare, mais je fais des efforts pour leur faire plaisir. S'il y a bien une chose que je déteste, c'est les croissants. Le goût est horrible pour mon palais de quinze ans, mais ne parlons même pas du papet vaudois... Je ne peux pas avaler une seule cuillère même en me forçant. La famille l'a bien compris et Madame Surnaut me prépare à chaque fois un petit plat différent.

De plus, j'ai une chambre rien que pour moi. Elle est immense et elle possède une petite salle de bain. Je n'arrête pas de faire le ménage de peur qu'on m'interdise de l'utiliser. Dès mon arrivée, la femme m'a transmis un petit carnet contenant les règles de vie commune. Au début, j'avais de la peine à comprendre l'utilité du formulaire, je l'avais pris comme une sorte d'entrave. Maintenant, je me rends compte qu'il s'agit uniquement d'usages de politesse, de coutumes tel que les heures des repas mais aussi des règles de respect pour bien vivre ensemble. Je suis donc chargée de faire la vaisselle le mardi et le jeudi. Le mercredi, j'aide le père à jardiner. Le samedi matin, la fille aînée m'aide pour mes leçons et j'ai l'après-midi libre, si je n'ai pas une visite de l'assistante sociale.

Comme tout enfant, je vais à l'école. À celle d'Ecublens pour être précise. Il s'agit de classes mixtes composées de migrants et d'enfants locaux, mais si on n'arrive pas à s'adapter ou qu'on ne possède pas le niveau requis, on est transféré en VSO. J'ai été transférée il y a 2 mois dans une classe entièrement remplie d'étrangers. On y apprend le français pour sûr, mais aussi l'histoire de la Suisse, sa géographie et sa politique. Je suis plutôt douée et ma famille d'accueil est toujours là pour me soutenir et me féliciter. Je remercie Mère et Tanti de m'avoir forcée à apprendre le français durant mon enfance. Mais pourquoi ont-elles tant tenu à me faire apprendre une langue qu'on ne parle pas en Syrie ?

Mais parlons plutôt d'aujourd'hui ! Je vais fêter Noël. Toute la petite famille se prépare méticuleusement. Il y a un gros arbre que je ne connaissais pas il y a trois ans qui trône dans le coin gauche du salon. On le décore tous ensemble de guirlandes, de boules rouges, bleues, jaunes, etc. Et enfin, Monsieur Surnaut dépose une grosse étoile au sommet. Puis vient le moment où je ne peux pas aider. Il s'agit de créer la crèche. Je suis fidèle à Allah, je ne toucherai ni les rois mages, ni Jésus. J'aide juste au placement des moutons. Dans le foyer à Lausanne, ils ne fêtent pas Noël. Il n'y a ni lumières ni décorations. Certains camarades de classe disent que je devrai avoir honte de fêter la naissance du fils d'un dieu qui n'est pas le mien. Au départ, j'avoue que cela me tracassait, mais au fond je ne rends pas hommage à cet enfant ou au dieu. Je profite juste du moment avec la famille qui m'accueille et prend soin de moi. J'apprends à les connaître comme elle essaie de le faire pour moi.

Le moment tant attendu arrive. Je m'installe sur le canapé et j'observe avec mes gros yeux le sapin du salon. Je ne bouge plus, tellement je suis impatiente de voir le résultat. L'aînée et la cadette m'ont promis un feu d'artifice pour les yeux une fois le sapin dans le noir. Je m'accroche à l'accoudoir du canapé. Je rêve encore de mon arrivée en Italie avec toutes les lumières se reflétant dans le blanc de la lune qui enveloppaient la surface de la mer. Les lumières du salon sont éteintes. Le noir prend possession des lieux. J'entends les sœurs rigoler entre elles et s'avancer à l'aveuglette jusqu'au deuxième canapé. Et là ! Une explosion de couleurs prend vie sous mes yeux. Je ne sais plus où regarder ! Les guirlandes illuminent le sapin d'une lumière blanche, très douce et pourtant si agressive à l'œil. Cette dernière se reflète dans les boules qui illuminent à leur tour les branches d'une multitude de couleurs. L'étoile au sommet du chef d'œuvre brille d'un bel éclat jaune. Mais le plus beau je crois, c'est la crèche. Il y a de l'eau, de la vraie, qui coule du haut d'une colline, passe sous un pont et rejoint la fontaine de la grange. La grange est baignée dans une lumière dorée et le chemin des rois mages est éclairé par de petites lumières au sol. C'est avec une vision magnifique que je rejoins mes draps et les bras de Morphée.

Je ne dis pas que Père et Mère ne me manquent plus, ainsi que Valérie. C'est le contraire... Ils me manquent encore plus, car bien que la famille soit extrêmement gentille et douce, c'est avec mes parents que j'aimerais vivre ici. Mais je sais que je ne peux pas revenir dans le temps. Depuis quelques mois, je vais chez un psychiatre qui m'aide à combattre le traumatisme du voyage. Je suis dès lors considérée comme une MNA fragilisée, sous tutelle d'une famille d'accueil. Pour l'instant je possède un permis B et la mère de la famille m'aide à obtenir un permis C pour arriver à l'étape de la nationalité suisse. Même si je dois avancer, j'ai toujours une partie de mon regard qui reste dans le passé. Je sais que je ne peux pas encore avancer par mes propres moyens et je remercie chaque jour le foyer qui m'a accueillie. Je ne sais pas ce que je vais devenir, mais mon premier but est d'intégrer une classe normale et d'aller faire des études. J'ai bien envie de devenir écrivaine ou avocate. Dans les deux cas, je ne pourrai pas y arriver sans tous ceux qui me poussent depuis mon arrivée au travers des épreuves passées. Mais je suis certaine qu'avec leur aide, les épreuves suivantes seront plus simples à franchir.

J'ai quitté les miens, tout perdu dans une guerre qui m'est encore inconnue. Mais Père et Mère n'ont pas à s'inquiéter pour moi, ni Valérie. J'ai trouvé une place dans ce vaste monde. C'est tout petit mais je m'y sens bien.

De Vive Voix [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant