Chapitre 19- Le Vide

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Issam

La panique. Ce fut la première chose que je ressenti. La peur, la panique et l'incompréhension. À peine eussé-je rétabli le Lien, que toutes ces émotions m'assaillirent, me coupant le souffle. Ennora était en proie à un affolement viscéral. Son visage paraissait serein mais son esprit était en ébullition, combattant l'engourdissement de son corps. Comme je m'y était attendu, le sédatif n'avait fait qu'endormir son corps. Son esprit était comme bloqué à l'intérieur.

Un juron m'échappa et je tentai de calmer ma colère avant d'essayer d'endiguer les flots de peur et d'angoisse qui pulsaient dans mes veines. Petit à petit nos deux coeurs ralentirent à l'unison et les tumultes de son esprit s'apaisèrent. Je ne sais combien de temps passa ainsi, moi à son chevet, sa paume fragile et si petite reposant dans les miennes, nos yeux clos, nos respiration synchronisées, le calme et le silence autour de nous, seulement troublés par les battements de nos coeurs ne faisant enfin plus qu'un à nouveau. Des heures, ou des jours passèrent sans que rien ne vienne troubler notre échange. Ennora me savait auprès d'elle, de temps à autres je murmurais des paroles qui se voulaient rassurantes. Je lui promis de lui expliquer tout ce qu'elle voudrait savoir plus tard avant de lui dire de dormir. Et ce ne fut que lorsqu'elle tomba dans les bras de morphée que je relevai la tête. La seule fenêtre de la pièce laissait passer les rayons de lune. Au bout d'un certain temps à fixer la lumière lunaire se refléter sur les mèches blondes de la jeune fille, je me décidai à me lever et sans un bruit je sortis de la chambre. Refermant la porte derrière moi, j'avisai mes affaires à mes pieds et soupirai en me passant la main dans les cheveux. Râlant contre ma soeur je ramassai mon unique sac et mes maigres affaires et les déposai dans la chambre à côté de la mienne. En repassant devant cette dernière, je tendis loreille et m'assurai quEnnora dorme toujours avant de descendre la volée de marches quatre à quatre. Arrivant au rez-de-chaussée, je passai par la cuisine, attrapait une pomme au passage et sorti par la porte qui donnait sur le bois, à lopposé du village et de l'infirmerie. La nuit était fraîche et le vent froid qui me caressa le visage fini de me réveiller. Je tendis l'oreille et perçut quelques bruits au village mais rien devant moi, dans la forêt. Croquant dans ma pomme, je me mis en marche et me dirigeai vers un point bien précis. Le chemin m'était familier pour l'avoir emprunté des centaines de fois. Chaque pierre, chaque arbre était exactement comme je l'avais laissé, 16 ans plus tôt. Comme si je n'étais jamais parti. Comme si les 16 dernières années n'avaient pas existé. Cela aurait été plus simple. Mais pour rien au monde je ne choisirai cette option. Les 16 ans que j'avais passés de L'Autre Côté avaient été difficiles certes, mais ces années avaient aussi été parmi les plus belles de ma vie. J'aimais mon monde, nos coutumes, notre héritage culturel et historique. J'avais grandi ici, parmi ces arbres, ces gens. Je me battais pour ces croyances et ça, tout ceci, m'avait donné un but. Mais c'était ces mêmes croyances, ces mêmes coutumes, ces mêmes moeurs avec lesquels j'avais grandi qui, aujourdhui, m'étouffaient. C'était elles que j'avais fui toutes ces années. C'était pour protéger les gens que j'aimais des griffes et du poids de notre histoire et de ces coutumes vieilles de milliers d'années qui dictaient notre vie encore aujourd'hui et qui amenaient tant de tristesse que je ne m'étais pas retourné. Et aujourd'hui, je ne savais plus du tout si j'avais fait le bon choix. Peut-être naurais-je pas dû partir sans Marysa, peut-être naurais-je pas dû la laisser. J'aimerais pouvoir lui en vouloir, j'aimerais pouvoir être en colère, mais le seul coupable c'était moi. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas avoir attendu. Je regrettais seulement que ça lui fasse autant de mal. C'est sans doute ce qu'il y avait de mieux pour elle, je le savais. C'est ce pourquoi je l'avais laissée à mon départ. Je le savais. Je le savais et pourtant ça me tuait. Ça me tuait de, ne serait-ce que, penser quelle puisse...

Avant même que j'aie pu réfléchir à ce que je faisais, mon poing s'écrasa sur la première chose qui me passa sous la main. Manque de bol, ce fut un arbre. Merde.

Le géant me répondit par un tremblement de magnitude 107 et un grognement. Apparemment il était de bonne humeur... Ou il avait perçu mon trouble et laissait passer mon affront. Je compris néanmoins au grognement qu'il ajouta que ce n'était que pour cette fois. Décidément rien n'avait changé. (Ou presque rien, corrigeai-je en pensant à Marysa et au bourbier dans lequel je nous avais mis). D'un côté, c'était rassurant. Au vu des changements qui allaient survenir, de tout ce qui se préparait pour nous tous, et surtout pour Ennora, il était rassurant de pouvoir penser que malgré tout, il y avait des choses qui ne changeraient jamais. Une bouée de certitudes au milieu d'un océan de craintes et d'inconnus. Rassurant, dans une certaine mesure. Mais il n'en restait pas moins qu'une des personnes auxquelles je tenais le plus était en danger. Ennora était impliquée jusqu'au cou dans des histoires bien plus vieilles qu'elle et qui pourraient lui couter beaucoup. Et je ne pouvais rien faire. Marysa souffrait par ma faute, parce qu'elle était prise entre mon amour et le poids des traditions et du regard des siens. Et je ne pouvais rien faire. Izzy souffrait...parce que j'étais un sale con. Et et je ne savais pas quoi faire. L'impuissance me rendait malade.

Perdu dans mes réflexions, je ne vis pas tout de suite que j'étais arrivé. Ce n'est que lorsque l'herbe céda le pas au vide devant mes pieds que je m'arrêtai. Je relevai la tête pour épouser le paysage du regard un instant. Devant moi, le Vide s'étendait à perte de vue. Tel une mer sans fin, d'un bleu nuit profond et constellé d'étoiles scintillantes. Je me tenais devant le ciel devenu mer, devant un océan d'étoiles posées sur terre. Derrière moi, les arbres étaient silencieux, comme en admiration devant ce spectacle eux aussi. Même le vent s'était tut. De jour, la ligne à l'horizon, entre le Vide et le ciel bleu au-dessus de moi était aussi nette que la coupure du sol à mes pieds. À présent, les étoiles qui s'étendaient devant moi brillaient plus encore que celles du ciel. J'inspirai profondément, savourant ce petit bout dinfini qui s'étendait devant moi. Aucun bord de mer de l'Autre Côté ne vaudrait jamais la mer d'étoiles. Cet endroit était mon bout de paradis. À côté, tous mes problèmes me paraissaient plus petits, presque insignifiants. Je savais que lorsque je me retournerai, que lorsque je rentrerai au village, je devrais à nouveau prendre mes responsabilités, que je devrais parler à Ennora et que ça n'allait pas être une partie de plaisir. Mais pour l'instant je fuyais. Je voulais profiter de l'instant présent et oublier pour un temps que tout le monde autour de moi souffrait par ma faute. Oublier même ma propre peine.

M'asseyant sur le bord du monde, je laissai pendre mes jambes dans le Vide et les étoiles me transporter.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 04, 2018 ⏰

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