Préface.

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Allongée au fond de mon lit, j'essayais de relativiser. Mes larmes mouillaient mon oreiller. J'avais très mal, je me tordais de douleur. Je ne saurai décrire la douleur que je ressentais à la jambe droite.. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser, j'étais paralysée, je ne pouvais même pas bouger. J'ai crié si fort que ma mère est venue en courant. J'avais besoin de quelqu'un, j'ai toujours eu besoin d'aide. Chaque fois que j'avais une crise, depuis maintenant une dizaine d'années, je paniquais. Quelquefois cela me prenait au genoux, parfois au mollet... Tantôt la jambe gauche, tantôt la droite. Impossible à préméditer. Des crises plus ou moins graves, de niveaux différents.

     Souvent, je me demandais « est-ce que quelqu'un me comprend ? » Mais non. Jamais je n'avais trouvé quelqu'un qui comprenait, quelqu'un qui savait placer des mots sur ma douleur.
Certains pensent que c'est psychologique, que c'est dans la tête.. Mais croyez moi, je sais que tout cela est bien réel.

     Je m'appelle Camélia. Depuis mes six ans, j'en suis atteinte. Aujourd'hui, j'en ai dix-sept.
C'est une maladie très rare, pas vraiment reconnue dans le monde de la médecine. C'est insultant de dire une telle chose puisque c'est comme si nos maux n'étaient que futiles, qu'un simple cachet pouvait avoir la capacité de nous guérir entièrement, qu'il fallait peut-être juste dormir un peu et que ça passerait. Malheureusement, ça ne marchait pas ainsi.

     Je me souviens du premier soir où je suis allée à l'hôpital pour ça. J'étais petite, très jeune, et j'avais eu une crise. Il était très tard, mes frères et sœurs dormaient. Je me suis mise à hurler d'un coup, je pleurais toutes les larmes de mon corps, j'avais extrêmement chaud, mes jambes me lançaient horriblement, j'étais paralysée. Je n'avais absolument pas la capacité de bouger, j'avais l'impression que l'on me plantait de longues lames acérées dans la jambe.  Ma mère a appelé mon père en trombe, elle m'a enfilé un pantalon et m'a recouvert d'un plaid. Elle a couru vers la voiture que mon père conduisait, me tenant dans ses bras. Je me souviens qu'allongée à l'arrière de la voiture, mes parents paniquaient pendant que je sanglotais en regardant par la fenêtre. Ça me calmait probablement, après tout...

     Les urgences de Robert Debré, à Paris, m'ont accueillies. Après cette entrée fracassante, je ne me souviens que de la nuit que j'ai passée à pleurer. Ma mère n'a jamais quitté mon chevet.
Une femme bordait un bébé qui pleurait également, jusqu'à ce qu'il s'endorme. Je me souviens qu'elle m'avait réconfortée, qu'elle me disait de faire comme son bébé et de dormir, sinon il se réveillerait probablement a cause de mes sanglots. C'était la nuit noire. Après ça, plus rien. Je n'ai plus aucun souvenir de ce soir-là.


    Zakaria, de son côté, se prenait des coups de ceintures qui lui brûlaient le dos. Il serrait les dents; torse nu et à genoux. Son père criait des injures tandis que sa mère était sortie depuis quelques heures pour prendre l'air, peut-être même fuir la situation. La nuit était tombée.

"Je le méritais", pensait-il. "Ils avaient travaillé dur pour m'offrir une place dans ce lycée coûteux et réputé, et j'avais tout gâché". Il avait tout gâché par ses excès de colère l'ayant emmené à sa perte.
Il s'était battu une fois de plus, et ils l'avaient renvoyés définitivement de son lycée.
"De toute façon, ils ne m'appréciaient pas. Ils me jugeaient chaque fois qu'ils me croisaient. Tous ces élèves, ces surveillants, ces professeurs, et tous les autres. Ils me jugeaient", tentait-il de se rassurer. Après tout, Zakaria était un jeune de banlieue, il n'avait rien à faire dans un lycée pareil ! Un lycée de fils à papa, un lycée de bourgeois.

     Mais c'était de sa faute. Avec un peu de volonté, il aurait pu leur montrer qu'il était tout le contraire de ce qu'ils imaginaient.
Il était en colère, se haïssais, ressentais de la haine vis-à-vis de lui-même. La haine. Quel mot ridiculement faible. Tellement loin de ce qu'il ressentait à son égard à cet instant précis. Il n'était ni assez puissant, ni assez profond pour exprimer ses sentiments envers l'ordure qu'il était.

La sonnette retentit. Son père jeta sa ceinture au sol et alla ouvrir. Zakaria passa sa main sur son dos. Son sang coulait, ses plaies suintaient. Il devait aller prendre une douche.
Il empoigna quelques affaires et alla discrètement voir qui est-ce qui avait toqué à la porte.

- Monsieur Abdelaoui ? Lança une femme à son père.

C'était une intonation de keuf. Il jeta un coup d'œil à son uniforme. "J'avais raison", pensa-t-il. La policière était accompagnée d'un homme qui se tenait derrière elle.

- Vous êtes bien le mari de madame Fadila Abdelaoui ? Demanda la femme.

Son père hocha la tête en fronçant les sourcils. Il demanda si il y avait un soucis.

- Pouvons-nous entrer ? Demanda-t-elle.

Son père ouvrit la porte en grand et les laissa entrer. Il les guida jusqu'au salon et regarda Zakaria avec un air si menaçant qu'il en eut froid dans le dos. S'ils étaient là pour lui, il avait signé son arrêt de mort. Cependant, il n'avait jamais eu de problèmes avec la police, mais il savait qu'ici, ils n'étaient pas très aimés.

Les deux gendarmes prirent place sur le canapé, son père sur le fauteuil, et lui était adossé au mur du salon.

- C'est votre fils ? Demanda la policière qui lui fit signe d'approcher.

Son père hocha la tête d'un geste infime. Zakaria évita le regard de ce dernier et s'approcha, tout en restant debout.

- Mon nom est Loubna Belacen. Si nous sommes ici ce soir, débuta la policière, c'est pour vous annoncer que votre femme a été victime d'un accident mortel ce soir. Elle marchait d'un pas pressé sur la route, et n'a pas fait attention au camion qui roulait à grande vitesse. Elle est décédée sur le coup. Je suis désolée. Toutes mes condoléances.

Elle semblait mal à l'aise. Le père de famille était silencieux, quant à Zakaria, il ne savait pas si il devait y croire. "Pourquoi est-ce que ma mère aurait fait ça ?" se demandait-il. Elle était la femme la plus prudente qu'il n'avait jamais vue de sa vie, pourtant.

- C'est... C'est impossible, murmura Zakaria. Elle était là il y a à peine trois heures.

Loubna lui prit la main.

- Elle n'a pas souffert, tenta-t-elle de le rassurer. Je suis persuadée qu'elle pensait à toi.

Un faible sourire éclaira son visage. Un sourire d'empathie, de compassion. Mais ce qu'elle ne savait pas, c'est que ce qu'elle venait de dire avait tout fait sauf le rassurer.

Tout tourna autour de Zakaria, sa vue se brouilla, il n'entendait plus rien. Il ne sentait même plus les plaies pourtant douloureuses sur son dos. La seule chose qu'il ressentait, c'était son cœur en train de se briser. L'atmosphère était bien trop pesante, quelque chose clochait. Il ne réalisait pas. Plus rien ne sera jamais comme avant.

Oxymore.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant