Les gens s'en vont.

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Quelques semaines après le départ de ma grande soeur, j'avais repris mes habitudes. Je m'étais inscrite à pas mal de cours supplémentaires et de formations au lycée : je voulais réussir mon année à fond ! Je ne pouvais plus me permettre de laisser qui que ce soit me blesser au point d'abandonner l'école, les amis, la vie.

     Je me dirigeais enfin vers ma formation universitaire : nous avions accès à des cours en ligne et une semaine de cours intensifs sur le campus durant les vacances d'hiver. Cependant, pour cela, il fallait que notre inscription soit retenue. J'avais si peur ! Dans le dossier d'inscription, il fallait insérer les trois bulletins de l'année de Seconde. Lorsque j'ai vu ça, j'ai presque pleuré. Quelle gâchis ! Mon année de seconde a été détruite par mon comportement désinvolte, mon absentéisme et mon je-m'en-foutisme permanent ! Je m'en voulais tant. Et si mon inscription était refusée ? Je m'en voudrais toute ma vie. J'aurai du écouter ma mère... Soudain, une ombre me frôla dans le vaste couloir du lycée. Un garçon très grand, en survêtement et avec une casquette. Un garçon que je connaissais bien. Ou peut-être pas vraiment, finalement.

- Connard, va. Ai-je soufflé.

Zakaria s'est retourné. Je ne m'attendais pas à ce qu'il entende. Son regard s'est assombri.

- Qui est-ce qui a dit ça ? A-t-il craché.
- Ça tire, tu sais qui c'est, va pas demander c'est qui ! Me suis-je écriée.

Il savait pertinemment que c'était moi mais il avait refusé de l'admettre. Nos regards se croisèrent et il éclata de rire. Mais pas un rire sincère, non. Un rire jaune, avec un rictus plaqué sur le visage.

- Tu souffres encore, pauvre Camélia ! A-t-il craché en se moquant de moi.

Il s'est approché de moi de sorte à me plaquer contre le mur. J'étais tétanisée. Mais la peur ne te paralyse pas, en fin de compte. Elle te réveille. Je l'ai poussé violemment de toute mes forces et j'ai couru. J'ai couru si vite que j'ai manqué de tomber face contre terre. N'empêche, peut-être que ça aurait atténué la douleur que je ressentais si fort dans la poitrine. Il s'est moqué de moi et de ma blessure, comme si ce qu'il avait fait était humain ! Enfin, après réflexion, ça l'était. Vu ce qu'étaient devenus les Hommes, ça l'était carrément ! À quoi servaient ces fils de pute à part trahir et parler ?

     Mais il avait raison. Zakaria avait raison. Bien sûr que je souffrais ! On ne passait pas à autre chose aussi vite. Mon coeur était balafré, bien sûr, même si mes yeux ne pleuraient plus. Je m'étais faite la promesse d'avancer à mon rythme. Je ne devais pas précipiter les choses, au contraire. Je me devais d'avancer doucement mais sûrement : quand on court trop vite, on finit par tomber. Je n'allais pas m'empêcher de vivre, quand bien même vivre c'est sauter à pieds joints dans le plus grand danger de l'histoire de l'humanité, ma curiosité et mon amour pour les belles histoires m'incitaient à plonger la tête la première. Sauter à pieds joints ou faire le saut de l'ange en criant seulement « chaud devant », peu importait. J'allais sauter et vivre ma vie. C'était décidé, je ne pouvais plus le laisser avoir le contrôle sur mes émotions. Je préférais laisser filer l'amour que de revivre de sales histoires. En effet, donner son coeur à une tierce personne était la forme de suicide la plus intrigante. On donne son coeur à une personne et que fait-elle ?


Zakaria rentra chez lui peu après. Il aperçut Faysal qui attendait patiemment dans son lit, les bras croisés derrière la tête.

- T'as des devoirs ? Demanda Faysal à son petit frère.
- Juste un peu, lança-t-il doucement en haussant les épaules.

Il a acquiescé avant de se lever et de récupérer sa veste de survêtement accrochée derrière la porte. Zakaria retira son bonnet. Il trouvait que son grand frère avait l'air très préoccupé en ce moment et se demandait quel était le problème.

Oxymore.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant