Le paradoxe de l'être humain.

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C'est parti. J'étais de retour sur le mercato après six mois loin de la vie sociale. Moi aussi j'étais capable de passer à autre chose. J'avais aujourd'hui enfilé un tailleur gris à rayures, accompagné d'un t-shirt blanc simple et d'une veste en cuir. J'avais bien sûr réouvert mon mascara après cette longue période, histoire de mettre en valeur mes yeux verts. Un battement de cil et j'obtenais le snap de n'importe quel garçon que je voulais. Je m'étais parfumée, j'avais laissé mes cheveux détachés et bouclés, appliqué du rouge à lèvres et mis des créoles argentées, sans oublier mon légendaire collier où était inscrit mon prénom en arabe et mon sac à main noir. Avant de sortir, j'ai enfilé mes Asics noires pour une petite touche personnelle. Trop de féminité tue la féminité.

J'étais enfin prête pour revenir parmi les autres. Fini les esquives, la fuite, les feintes. Terminé, tout ça. J'étais passé à autre chose, - du moins j'essayais de m'en convaincre -, et j'allais maintenant leur montrer ce que j'avais dans le ventre. Et oui, je suis partie pour mieux revenir ! Je ne laisserai plus jamais personne me faire du mal. Plus jamais. Y'a plus rien qui me fait mal, maintenant : mon coeur est brisé. Et sachez que si je tire, je sais sur qui viser.

     J'ai enfilé mes écouteurs, glissé mon Opinel dans ma chaussure et je suis partie en route pour l'école. On n'est jamais en sécurité, il fallait prendre ses précautions. Dès que je suis arrivée, Lina m'a aperçue.

- Wow.. Qu'est-ce que t'es belle, aujourd'hui ! S'est-elle exclamée.

J'ai souri et mon nez s'est plissé. J'étais fière de moi. Sa remarque m'avait fait plaisir. Cependant, entre elle et moi, je sentais au début une certaine gêne. Je connaissais Lina, et j'avais l'impression d'être une sorte de bombe dans sa vie : si elle m'approchait trop, elle risquait de tout faire exploser. J'avais l'impression qu'elle pensait exactement de cette manière, et je ne savais pas comment l'en empêcher, ni si je le voulais vraiment car, en effet, c'était l'effet que j'avais eu dans sa vie : celui d'une bombe. J'avais fais exploser ses habitudes, ses pensées et ses relations : elle avait tout plaquer pour me faire passer avant tout le monde et tout en étant flattée, je me sentais également gênée. Je n'avais pas l'habitude d'être aussi aimée. Du moins, on ne me le faisait pas ressentir et la barrière que je m'imposais m'empêchait d'aimer Lina comme elle m'aimait, alors je culpabilisais.

     Alors quand elle est entrée dans ma vie, ça a un peu été comme une bombe aussi. Souvent, je me suis demandée si notre relation n'était pas toxique, puis j'ai compris que pour qu'elle ne le soit pas, il fallait que l'on fasse en sorte de se comprendre et de s'armer, justement, contre une potentielle implosion de notre relation. Sauf que, têtue et égoïste, j'ai pensé à ma personne principalement. Après la trahison de Zakaria, blessée et avec un énorme désir de solitude, j'ai demandé à Lina de s'éloigner de moi. Maintenant que j'y pense, c'était très méchant de ma part. C'était même carrément horrible et encore pire, ce n'était même pas la première personne à qui je faisais ce coup-là. Précédemment, je l'avais soumis à Suleyman : après quelques semaines où l'on ne se quittait plus, je l'ai laissé tomber après cinq jours de relation, en prétextant que je m'étais lassée. Ce n'était pas le cas. J'avais juste eu peur.

     Je m'étais longuement remise en question, et j'avais appris que c'est le paradoxe de l'être humain craignant d'être abandonné qui abandonne. En d'autres termes plus personnels, quand j'ai vu l'attention et l'intérêt que me portait Suleyman, lorsque j'ai ressenti tout cet amour, alors comme je l'ai fais avec Lina, je lui ai dis qu'il était préférable qu'on arrête là. J'ai toujours eu peur d'être abandonnée, alors j'ai décidé il y a une douzaine de mois, qu'à partir de ce moment-là, c'est moi et moi seule qui allait abandonner les autres. Par la suite, Zakaria avait réussi à m'abandonner de la pire des manières. Il avait un peu été l'exception qui confirmait la règle et, par ailleurs, avait accentué davantage ce ressenti de la peur de l'abandon.

Oxymore.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant