Abîmé.

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Je m'étais réveillée tôt, comme à mon habitude.  Aujourd'hui, j'avais rendez-vous chez un spécialiste, une sophrologue.  J'avais peur, je paniquais totalement. Comment est-ce que ça allait se passer ? Ça faisait bientôt quatre ans que je n'avais pas vu de médecins, que je n'étais pas allée à l'hôpital. Malheureusement, les crises se faisaient de plus en plus fréquentes. 

     Ma mère était allée à un rassemblement de spécialistes de ma maladie pour mieux comprendre et peut-être avoir une débouchée sur un traitement, un remède. Elle a obtenu la carte de visite d'un des médecins, une sophrologue, et un rendez-vous. J'avais peur, je ne voulais pas y aller. Est-ce qu'elle me jugerait ? Que penserait-elle de moi ?  Le trajet était long mais animé par les messages de Zakaria. Ce que j'appréciais avec lui, c'est qu'au lieu de me rassurer avec des messages niais, il me faisait rire, il me racontait sa journée ou des anecdotes.. Il était adorable, si drôle !

     Nous étions arrivés devant un grand bâtiment, des bars et un tas d'autres immeubles l'entouraient. Il était classe, beau et propre. Un grand miroir jonchait le mur verdâtre, et un ascenseur sombre se présenta à nous. Quatrième étage, entrée, salle d'attente.
Je me suis assise sur un fauteuil en daim brun. Je paniquais. Zakaria était sorti avec ses potes, j'étais à présent seule. Ma mère a mes côtés ne représentait qu'un faible pourcentage de ma sérénité.

- Bonjour.. Murmura une voix féminine.

J'ai relevé la tête. Une femme d'au moins une cinquantaine d'années s'adressait à moi. Elle était plutôt grande, ses cheveux étaient courts et elle portait des lunettes. Elle avait l'air chaleureuse et souriait. Je me suis levée. Elle m'a serré la main et m'a fait entrer dans son bureau puis a fait entrer ma mère. Nous nous sommes assises sur des sièges en cuir et nous nous sommes mis à discuter.

     Lorsque j'étais plus jeune, je n'adressais jamais la parole à un médecin. Chaque question, chaque conseil, chaque phrase rentrait par une oreille et ressortait par l'autre. Je ne répondais jamais, mon maximum était un vague hochement de tête. Je me souviens que ma mère me le reprochait très souvent. Peu importe, je haïssais les médecins. Je ne voulais plus jamais avoir affaire à eux. Je ne voulais recevoir d'aide de personne, je pouvais me débrouiller seule.

     À vrai dire, entre temps j'avais grandi. J'avais compris qu'être butée sur cette idée ne m'aiderai pas. Je ne demande toujours pas d'aide, mais je mets ma fierté de côté un peu plus chaque jour. Cela m'aide fortement, avec mes relations en général. Qu'elles soient amicales, amoureuses, familiales, scolaires, médicales ou n'importe.Si je le fais, c'est pour moi et non pour eux. Mon honnêteté et ma franchise ne sont pas là pour faire plaisir aux gens ou au contraire, les blesser. Si j'use de ces deux choses, c'est tout simplement pour ma propre conscience.

     Voilà. Tout recommençait depuis le début. Les diagnostics, les hospitalisations, tout ce temps d'école manqué, mon ressenti, ma douleur.. Il fallait tout raconter, encore et encore, et à chaque fois, à une personne différente. Je détestais parler de ma maladie. Je crains de dégoûter les gens, ou de leur inspirer un sentiment de pitié. Faire pitié, et puis quoi encore ?
Je me débrouille très bien seule, je n'ai pas besoin d'une personne qui s'attriste a cause ma situation.
En réalité, je m'attriste déjà seule. Je n'ai pas envie que quelqu'un d'autre ressente cela, et encore moins un de mes proches. Mais en vérité, tout venait à cela.  Si je devais parler de ma vie, il faudrait que je parle de la maladie qui l'anime comme si cette dernière était moi-même. Chaque fois, il faut que j'en parle, que j'explique certaines choses. Sinon, personne ne comprend.  Et de toute manière, même après des heures d'explications, personne ne comprendrait.  C'est pour cela que je n'explique jamais rien et que je garde toutes ces choses ancrées en moi. 

Oxymore.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant