Elle avait ce regard de braise. Je la trouvais belle. Terriblement belle.
Avec son rouge à lèvres carmin, ses yeux verts. Ses airs de rebelle, si sûre de ses pas et de son avenir. Après des verres d'alcools on avait la tête ailleurs et les mains frivoles et baladeuses.
Bordel, je l'aurais serrée dans mes bras et j'aurais baisé tous les recoins de son corps ce soir-là.
C'était la ville. Avec ses réverbères fluorescent et ses rues pittoresques qui ne mènent nulle part mais qu'on arpentait en riant avec une clope qui tangue dans la bouche. J'étais loin de ma campagne malodorante, cet enclos puant. Ça sentait le renfermé là-dedans, on étouffait dans cet air putride et envenimé. Enclos fermé, les mauvaises herbes s'accrochaient à mes chevilles, les ronces me griffaient, les orties léchaient ma peau avec leurs langues piquantes et brûlantes.
J'ai fini par oublier la peste des égouts et le venin des serpents des champs verts et secs de mon passé. Petit monde clos, ignoble et malsain, plein d'êtres aux mœurs closes et enfantines ; des barreaux de métal froid qui m'enfermaient, et quand je les touchais je rêvais d'm'en aller loin.
Loin, me voilà.
Loin c'est ici, dans la ville. Je m'y plais tellement ; tu le savais. Quand tu venais me voir, les étoiles commençaient à peine à scintiller dans mon iris. Toi tu restais là-bas dans cet enfer campagnard. T'aimais ça, que tu me disais. La ville, c'était pas ton truc.
La ville. L'excès. La grandeur, la perdition. L'anonymat dans lequel on se fourre. Cette liberté des choses qu'on n'a nulle part ailleurs. Parce qu'on est si petit ici-bas, sous les yeux imposants des immeubles et des bâtiments de la ville ; si petit qu'on se sent capable de tout. Des pires excès comme des rêves les plus ambitieux.
Je me souviens encore de ce soir, elle était si près de moi que j'ai cru pouvoir l'embrasser. J'aurais goûté à la saveur de ses lèvres que le tabac rendait amère. Les deux sur ce balcon, on avait parlé de toi. Puis de moi. Puis d'elle.
Au moins, on avait ce point commun. Les deux, on fantasmait sur Brigitte Bardot dans Le mépris de Jean-Luc Godard. « Et mes seins. Tu les aimes ? ». Elle avait ri ; sa voix rauque, c'était comme une mélodie harmonieuse. Mes yeux divaguaient sur sa silhouette. Ils s'étaient posés sur son cœur. « Oui », je voulais répondre. « Énormément ».
La ville. Elle m'avait libéré de mon supplice. Je me retrouvais face à ce miroir en me disant « et tu fais quoi, maintenant ? ». Parce que j'étais là, avec toi, dans mon lit entre des draps blancs. Et parfois ; parfois quand tu passais tes doigts sur mes hanches, je croyais que c'était elle qui me parlait avec son tact. Je me souvenais de ce soir-là où elle m'avait pris la main par mégarde alors qu'on discutait du beau temps. De ses doigts glissant jusqu'à mes reins par pur égarement. De sa bouche qui parfois, pour mon plus grand désir et mon plaisir inassouvi, allaient baiser la commissure de mes lèvres.
Je l'ai fait pour toi. Un jour elle m'a regardé si intensément que j'ai eu peur de tomber amoureuse. Je l'ai détestée. Ses yeux, si verts et semblables à deux émeraudes n'étaient plus que des iris larmoyants et fatigués. Ses lèvres, je les haïssais parce que je les trouvais soudainement sèches et abruptes. Ses cheveux n'étaient plus qu'un amas terne et triste de nattes blondes. Ses doigts, je ne voulais plus les prendre dans ma paume ni les sentir contre ma peau.
J'ai assassiné mes doutes, ma volupté et mes désirs. J'ai effacé mes larmes en un songe, j'ai consolé mon corps tremblant en lui disant « c'est fini ». C'était peut-être ça que j'appréciais à tes côtés. Cette sensation de sobriété. Les excès de mon désir n'étaient plus que des spectres qui parfois revenaient lorsqu'elle et moi, on échangeait un regard furtif.
T'avais raison ce jour-là quand tu m'as dit « t'es qu'une connasse, t'étais avec moi seulement pour avoir un mec à tes côtés qui puisse te toucher quand t'en avais besoin».
J'avais peur. Peur de mes désirs et de ma jeunesse fougueuse qui cherchait à me faire parler.
Sans toi aujourd'hui, je me suis remise à pleurer.
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Le meurtre de Dionysos
Poetry" Je le fais pour toi " . Mais ça, il ne le comprend pas. L'ivresse l'a tué. Le meurtre de Dionysos est barbare et sanguinaire.