Le meurtre de Dionysos

vii

T'as déjà compté le temps ? 

Le temps avant la fin de l'insouciance. 

Avant la fin des doutes, des inconstances. Experience soudaine, envie frivole, désir ardent et irrationnel. 

Par compter, je veux dire se rendre compte. Une projection dans un avenir incertain, l'imagination d'un futur évasif. Compter le peu de temps qu'il reste pour que demain soit proche de la fin. 

"C'est maintenant où jamais", on se disait. Faut plus attendre. 

Est-ce qu'on est sur la bonne voie ? 

"Putain, on est trop jeunes". Tu penses pas ? Pour tant de sérieux dans cette jeunesse.

J'ai peur du temps, de ces aiguilles qui tournent trop vite et qui me disent "presse-toi !". Alors je m'empêche d'aimer, ma jeunesse à vivre m'attend dans ce futur, qui demain sera déjà présent. Ça n'empêche pas l'amour, mais ça m'emprisonne. 

Alors maintenant, vis.

"Mais tu m'as détruit. Je ne peux pas vivre sans toi".

Tu te rendais pas compte du poison que j'étais. Le danger, c'était moi ; et l'amour que tu me donnais. 

T'étais trop amoureux bordel. Beaucoup trop par rapport à moi. 

"Tes égoïste, tu m'entends ? Tu prétends que ton temps est précieux, que l'horloge de ta vie règle celle des autres. Tu te trompes"

Égoïste. Bordel, je fais de mon mieux pour ne pas être cette connasse que tant tu détestes. Sûrement pourquoi je ne cesserai de répéter : je suis pas égoïste.

Je suis pas égoïste, d'accord ?...

Silence.

T'as déjà compté le temps ?

Moi oui ; c'est angoissant. Ça m'a rendue égoïste.

Labyrinthe, je me suis engouffré dans l'anxiété d'une mort prochaine et pourtant si lointaine. Paranoïa soudaine, j'ai du tout lâcher. Toi, l'amour, le nôtre.

Toi. Je t'ai lâché parce que j'ai pas le temps.

Quand ce moment d'angoisse terminera et que j'aurais tout vécu ; que la pluie sera tombée, l'acide des mots m'aura grignoté l'estomac comme une mauvaise drogue de synthèse. 

Quand il sera temps, je reviendrai. 

Tu m'attendras ?