Lui

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Il fait froid. Je le sais. Mais je ne le ressent pas. Le vent glacial apporté par les vagues me heurte le visage de plein foué mais il ne m'arrêtera pas. Le son de l'eau se fofilant entre les galets et le bruit des voitures plus loin me fait frissonner instinctivement. Malgré ma veste plutôt épaisse, le froid la transperce non sans difficulté. Mais je ne peux pas y prêter attention. Je regarde les gens aller et venir, inventant des raisons de ce pourquoi ils sont là, d'où ils viennent et qu'est ce qui les a poussé à être ici.
Je pousse la petite barrière du terrain de jeu juste en face de la plage. Rien qu'en l'effleurant, ma main perd toute la chaleur qu'il lui restait, le temps où elle était enfouie contre moi. Malgré d'avoir les mains gelées, je ne souhaite pas finir frigorifiée ici. Pas maintenant. Je place mon écharpe devant mon visage et souffle un peu à l'intérieur. J'essaie de me réchauffer sans me brûler avec la passion qui me consume intérieurement. Mes joues se refauchent un peu mais mon nez reste aussi glacé que mes mains. Comment fait-il lui pour ne pas avoir froid ? Je pense surtout qu'il se cache plutôt bien. Il est assez habile pour ce petit jeu. Il change de direction pour aller jusqu'au skate-park. Encore une separation inattendue et plutôt directe. Toujours aussi fidèle à lui même.
Je le laisse partir de son côté mais je cherche tout de même un petit coin pour me reposer et peut-être oublier un peu le froid. Le petit parc juste à côté a, en face de la plage, deux balançoires orientées vers l'horizon. Je m'assois sur l'une d'elle, prend de l'élan et m'élance. La nostalgie de cette routine musculaire me réchauffe alimente un peu mon cœur. Le bruit des vagues donne un rythme plus ou moins régulier à mes balancement. J'en oublierai presque que je ne suis pas venue seule ici. Je jette un coup d'œil vers lui, profitant du skate-park attenant à ce petit parc. À cette heure-ci, il est complètement vide et ce n'est pas pour lui deplaire. Il est allongé au plein milieu et son bras recouvre le haut de son visage. Peut-être a-t-il honte d'être ici avec moi, peut-être a-t-il froid et il essaie aussi de s'apporter un peu de chaleur. Il a du être interrompu dans sa torpeur car dès que j'ai arrêté de me balancer pour examiner ce qu'il faisait, il a retiré son bras et s'est assis dans ma direction. Je lui souri mais je constate qu'il y a quelque chose dans son regard de bien plus profond et plus persant que d'ordinaire. On pourrait presque dire qu'il a maintenant les yeux embués. Je le questionne du regard mais il se contente de me rendre mon sourire, non sans un brun de nostalgie sur son visage. Je brûle intérieurement. J'ai si hâte de pouvoir le lui dire. Mais je ne veux pas le brusquer. Il est si doué pour dissimuler ce qu'il ressent que ça me briserai sur place.
Il se lève enfin. Après plusieurs minutes de face à face presque interminable. Le vent s'est maintenant calmé un peu,ce qui rend l'atmosphère un peu plus supportable mais pas moins dénuée d'émotion. Il m'attend devant l'entrée du parc. Je le rejoins sans qu'il décoche un mot. Il a du se rendre compte de l'impact qu'il pourrait engendrer avec ses mots en guise d'arme. Un peu comme Éros et ces multiples flèches. Mais moi non plus d'ailleurs. Je suis incapable de m'exprimer. Et d'autant plus s'il ne le fait pas en premier. J'ai trop peur de briser ce silence qu'il a instauré et de le faire disparaître. D'ailleurs, on dirait que ce froid commence à le dévorer physiquement aussi bien que metaphoriquement. Ses cheveux sont tout emmêlés à cause du vent et ses joues ont prit une couleur presque écarlate. Je lui met sa capuche et saisi ses joues dans le creux de mes mains, j'espère pouvoir lui transmettre le meilleur de moi par ce simple contact. Nous restons comme ça le temps d'une minute. L'ultime et interminable minute durant laquelle j'aurai pu lui donner toute ma vie s'il me l'aurait demandé. Il interromp soudainement ce geste et prend alors délicatement mes minuscules avant-bras au creux de ses mains en les serrant de ses longs doigts fins. Une larme remplie de petites étoiles glisse sur son visage, passant par le creux de ses cernes puis par la commissure de ses lèvres, pour se terminer dans son coup. J'implose et le sert enfin contre moi, ayant aussi les larmes aux yeux. Il amplifie l'étreinte en mettant ses bras autour de mes épaules, l'arrière de mon crâne entre ses paumes.


"-Tu m'as manqué."
"-Toi bien plus encore ."

"petit guide des grandes Espérances"Où les histoires vivent. Découvrez maintenant