Il fut réveillé pendant la nuit par un bruit d'éclat de verre et quand il se redressa d'un bond sur son lit il leva la tête pour regarder l'ampoule qui pendait au plafond de sa chambre. Celle-ci brillait faiblement comme s'il elle tentait de s'allumer sans vraiment y arriver et il entendit un grésillement en sortir. Comme le bruit de l'électricité qui court à travers un fil électrique. L'ampoule s'alluma soudain pendant quelques secondes avant de s'éteindre de nouveau, laissant un silence pesant s'abattre dans la chambre. C'est alors qu'il l'entendit. Il entendit des sanglots et en une seconde, le visage baigné de larmes du robot lui revint en mémoire. Il se leva précipitamment et se dirigea vers le salon, où ce dernier était censé dormir.
Lorsqu'il arriva dans le salon, il s'avança à tâtons à l'aide de son téléphone portable car il n'arrivait pas à allumer la lumière et aperçut Orel accroupi sur le canapé, les genoux relevés et la tête dans ses bras croisés en train de sangloter. Il s'approcha doucement de lui et s'accroupit devant lui à même le sol.
« Orel ? C'est Guillaume... » dit-il dans un murmure, pour ne pas lui faire peur.
Il approcha une main de son bras en ne l'entendant pas lui répondre et frissonna en sentant à quel point il était brûlant, à l'inverse de comment il avait été toute la journée.
« Je suis désolé, murmura le robot sans relever le visage de ses bras croisés.
— Eh, pourquoi tu t'excuses ? demanda-t-il doucement en pressant un peu plus sa main contre son bras.
— C'est moi qui ai cassé l'ampoule, expliqua Orel en reniflant, la tête toujours dans ses bras.
— Comment ça tu as cassé l'ampoule ? C'est pour ça que la lumière du salon ne marche plus ? J'avais pas rêvé alors ?
— Je suis désolé, répéta Orel en relevant la tête d'un air paniqué. J'ai pas fait exprès, je te le jure.
— Mais c'est pas grave, Orel. Il faut pas t'en faire pour ça, sourit Guillaume un peu confus. Et si... commença-t-il en venant s'asseoir à ses côtés sur le canapé et en passant une main dans ses cheveux pour le rassurer. Et si tu me racontais un peu comment tu as fait ça ? Tu as des pouvoirs maintenant ?
— Des pouvoirs ? répéta Orel en balbutiant. Non... Non, c'est pas des pouvoirs. J'ai seulement... pensé à des mauvais souvenirs... Et je pense que... ça a eut une réaction sur les fusibles.
— Tu veux dire que tes mauvais souvenirs ont fait péter les plombs à mes fusibles ? rit Guillaume.
— Je... Tu ne me crois pas ? demanda Orel d'un air inquiet.
— Si, si, ne t'en fais pas... continua-t-il de rire. C'est juste... surprenant. »
Il se calma en voyant le regard perdu d'Orel sur lui et il lui sourit avant de caresser doucement ses cheveux, en prenant bien soin de remettre sa mèche blanche derrière son oreille.
« Tu sais... C'est pas tous les jours qu'on rencontre quelqu'un comme toi, hein... »
Orel fronça légèrement les sourcils à sa déclaration et il crut voir un léger voile de tristesse passer devant ses yeux. Il se recula alors en se rendant compte d'à quel point ils étaient assis près sur le canapé et se mit à tousser.
« Et sinon... C'était quoi ses mauvais souvenirs ?
— Je pense pas que tu veuilles les entendre, dit précipitamment Orel.
— Et pourquoi pas ? Comment tu peux en être aussi sûr, Orel ?
— Parce que... Justement, ils sont mauvais. C'est pas des souvenirs joyeux, le genre de choses qu'on a envie d'entendre.
— S'ils sont aussi mauvais que ça pour faire exploser mes ampoules quand t'y penses, j'aimerai bien les connaître. Il me faut bien une explication, hein ? »
Orel baissa les yeux et le temps d'un instant, il crut qu'il allait refuser de les lui raconter. Mais il le vit bouger légèrement sur le canapé et attraper du bout des doigts la couverture qu'il avait apportée la veille au soir pour le couvrir. Il pensa furtivement à quel point point il la serrait délicatement, faiblement, comme s'il avait peur de la froisser, et il releva la tête pour le regarder lorsqu'il se mit à parler.
« J'ai pensé à la première fois que j'ai ouvert les yeux à l'entreprise. Tout était si blanc. C'était tellement pur et en même temps... en y repensant aujourd'hui... je vois à quel point c'était dénué de toute vie. De toute... sensation. »
Guillaume l'observa tristement, sans rien dire. Le robot avait les yeux dans le vague, comme s'il se repassait encore une fois ses souvenirs dans son esprit et les revivait quand il les lui racontait. À la manière d'un film.
« Je crois... que nous, robots, on est pas censés ressentir ces choses-là, continua le robot. Ce que vous, les humains, vous appelez sentiments. On m'a fait faire des tests avant de m'envoyer chez le premier humain qui m'a acheté : Julien. Aujourd'hui, je sais que ces tests sont douloureux mais à l'époque, je ne savais pas que cette sensation avait un nom. Julien... Il était père de famille mais il était aussi très triste. Il avait perdu sa femme et il se retrouvait seul avec ses deux enfants. Il souffrait beaucoup et c'est lui qui m'a appris la douleur. Mais la sienne, pas la mienne, dit précipitamment Orel en le regardant. Tout ce dont il avait besoin c'était un peu de réconfort et d'affection alors c'est ce que j'ai essayé de lui donner, à mon échelle. Mais ce n'était jamais suffisant, se mit soudain à pleurer le robot. Bientôt il a fallu que je l'embrasse, lui rende ses caresses, ses gestes déplacés... Je voulais lui faire plaisir et alléger sa peine mais ça ne suffisait pas. Et un beau jour, il m'a dit qu'il avait décidé de me renvoyer à l'entreprise parce que ce que j'étais en capacité de lui donner ce n'était jamais assez suffisant pour lui. Ce qu'il voulait lui, c'était de l'amour mais je ne connaissais pas ce sentiment. Je ne l'avais jamais rencontré alors je ne pouvais pas le lui donner. Tu comprends ? » lui demanda Orel, les larmes au bord des yeux.
Guillaume hocha la tête doucement, dans un état second. Il avait dû lui donner son corps ? Parce qu'il lui appartenait ? Assurément, il pensait faire ça selon son bon vouloir mais... qu'est-ce qu'il connaissait au consentement ?
« Tu veux toujours que je continue ? » demanda Orel en se passant une main sur les yeux pour sécher ses larmes.
Guillaume l'attira alors à lui et le serra fort contre son torse.
« Est-ce que la suite est pire ?
— Ça dépend de ce qui est pire pour toi, murmura Orel contre son torse et il sentit son souffle chaud traverser son tee-shirt pour caresser sa peau.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? » demanda Guillaume en reculant pour se détacher de lui et il lui lança un regard inquiet.
Orel lui offrit un petit sourire triste et se redressa sur le canapé, prêt à continuer son histoire.