𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑

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Il s'était réveillé, tout à fait décontenancé. J'avais besoin d'explications, alors j'avais patienté, allongé sur le dos, bras derrière la tête. Il avait dormi sur le ventre. Au papillonnement de ses paupières, je l'entendis soupirer, puis se tourner sur le flanc. Il ne m'avait accordé qu'un regard bref, mais suffisant pour en ressentir toute sa culpabilité.

— Est-ce qu'on a...

Trop peu sûr de lui, il ne me semblait pas certain de pouvoir affronter la réalité en face. Je ne savais si je devais mentir pour ne pas érafler son amour-propre, ou simplement lui dire la vérité, à moins que celle-ci ne finît par s'immiscer dans sa tête comme un douloureux souvenir.

Cela dit, il ne fut pas utile pour lui d'obtenir une réponse. Mes lèvres pincées délivrèrent un message on ne peut plus clair.

— C'est pas vrai, soupira-t-il.

Couché sur le ventre, en appui sur ses coudes, il se frottait le visage, comme si cela suffirait à effacer toutes ses actions passées. Malheureusement pour lui, le mal était fait.

— Tu avais beaucoup bu hier soir, déclarai-je.

— Tu as pu en profiter, pas vrai ?

— Je ne saurais dire qui de toi ou de moi en a le plus profité, à vrai dire, l'accusai-je.

Le regard que je lui lançais le fit redescendre de ses grands airs et il baissa la tête, honteux.

— Je suis désolé.

— Ce n'est rien. On ne pourra plus rien y faire de toute façon.

Jungkook lâcha un nouveau soupir. Les épisodes de la veille devaient lui revenir, se mettant bout à bout dans son esprit, et lui faisant voir l'ivresse dans laquelle il s'était plongé. Ainsi, il se souvint la raison pour laquelle il s'était retrouvé ici, avec moi.

— Pourquoi t'être mis dans un tel état ? l'interrogeai-je. Cela ne semblait pas être la première fois que ça arrivait.

— C'est pas tes oignons, maugréa-t-il.

— Je le sais, admis-je. Il n'empêche que si je n'avais pas été là, on t'aurait sans doute laissé crouler dans ta propre bile.

— Je t'ai dit que je m'excusais, d'accord ? haussa-t-il le ton. Je suis désolé. Mais ce n'est pas pour autant que je me verrais parler de ma vie à un inconnu.

— Et pourquoi pas ?

Ses yeux se posèrent sur moi. Ses sourcils étaient froncés.

— Avoir l'oreille d'un inconnu près de soi, poursuivis-je, c'est parfois mieux que l'oreille d'un proche. Cela permet d'obtenir un avis plus objectif. Ça ne fait pas de mal, parfois. Ça remet les idées en place. Mais si tu n'as pas envie de m'en parler, je comprendrai. Puis la prochaine fois, je te laisserai seul dans ton désespoir.

Il s'était montré hésitant, mais mes mots furent persuasifs, bien qu'il ne ressentît pas la nécessité de me l'avouer.

— Cela devient de plus en plus fréquent, se décida-t-il enfin. Je me répète sans cesse que je devrais arrêter, mais je finis toujours par me laisser tenter : je me rends dans un bar, je m'accorde un verre, j'en prends finalement trois, et parfois, je termine ma nuit dans les bras d'un homme.

— Est-ce qu'il y a une raison qui te pousse à cela ? Je veux dire, il n'y a pas de mal à se faire plaisir. Mais j'ai comme l'impression que ce n'est pas par envie que tu te laisses enrôler dans ce genre de situation, je me trompe ?

— Non, tu as raison. Ce n'est pas vraiment par envie. Les temps sont durs par moment. Je suis à bout. Et je cherche par tous les moyens de m'évader, d'échapper à ma propre vie le temps d'une nuit.

— À ton âge, tu te sens déjà à bout ?

— J'ai fait une bêtise quand j'étais plus jeune. Une très grosse bêtise.

— On fait tous des conneries à cet âge-là.

— Pas des conneries qui impactent tout le reste de ta vie. Crois-moi, j'en assume encore les conséquences aujourd'hui.

— Je ne suis pas sûr de te suivre.

Je le vis retenir ses larmes. Un soupir franchit ses lèvres.

— J'avais vingt-deux ans, dit-il. J'ai rencontré une fille. Elle n'avait que vingt ans. Une fille magnifique. Je l'aimais. Je l'aimais comme je n'ai jamais aimé personne avant elle. J'étais allée la voir un jour – elle faisait des études à quelques kilomètres de chez ses parents. Je lui rendais souvent visite. Mais cette fois-là, j'avais compris que quelque chose n'allait pas. En me voyant entrer, elle ne m'avait pas décroché un sourire. Elle n'était pas venue me dire bonjour comme elle en avait l'habitude. Rien. Rien que du silence. Elle était en pleurs. Elle s'était trouvée assise sur son lit et n'avait pas eu la force de se lever, ni de me dire ce qui la tourmentait. Et c'est là que j'ai vu. Elle tenait dans ses mains un test de grossesse.

— J'imagine que...

— Oui, il était positif.

— Bon sang ! m'exclamai-je.

— Sur le coup je ne l'avais pas crue. Je me protégeais toujours. J'ai toujours fait attention. À ce moment-là, je m'étais senti devenir comme fou. Mais j'avais bien dû voir la réalité en face. Cet enfant était de moi et il nous fallait prendre une décision.

— Vous l'avez gardé.

— Oui.

— Et quoi ? Tu regrettes ?

— Non, je ne regrette pas. Pas du tout. Ma fille est le plus beau cadeau que je n'ai jamais eu. Pour rien au monde je ne voudrais qu'on me la reprenne. J'aime ma fille. Plus que tout. J'aimais ma copine. J'ai longtemps cru qu'il ne s'agissait en fait que d'un mal pour un bien. On allait devenir parents. Je croyais avoir rencontré la femme de ma vie, la mère de mes enfants. Mais je n'aurais jamais cru que cet avenir adviendrait en si peu de temps et qu'il viendrait gâcher tout le reste.

Je l'écoutais attentivement. Jungkook avait su rebondir face à l'annonce d'une paternité qu'il n'avait pourtant pas souhaitée, ou en tout cas, pas à un si jeune âge. Il avait su voir le bon côté des choses. En revanche, il m'avait raconté tout cela avec beaucoup de regrets.

— Nos familles n'ont pas digéré cette annonce si facilement. On m'a reproché de ne pas avoir fait ce qu'il fallait. Et on lui a reproché de ne pas s'être montrée plus prudente, de ne pas avoir pensé suffisamment à ses études, à son futur travail. On m'a accusé d'avoir ruiné sa vie. Mais ma vie aussi s'en était retrouvée ruinée. J'étais sur le point d'obtenir mon diplôme et j'avais dû tout arrêter, rejoindre l'entreprise de mon père pour pouvoir subvenir aux besoins de ma famille en devenir. Et aujourd'hui encore, je paye mes erreurs. Par manque de courage sans doute. Je n'ai jamais pu laisser tomber mon père. C'est-à-dire qu'il m'a fait don d'une grande part de sa fortune. Son entreprise. C'était toute sa vie. Il croit que j'ai les épaules pour lui succéder. J'ai toujours eu en tête de démissionner, trouver un autre travail, quelque chose qui me plaît vraiment. Mais je ne pense pas trouver un travail aussi bien payé ailleurs. Et peut-être même que je n'ai pas le courage de me lancer dans quelque chose de nouveau.

— En effet, c'est plutôt délicat comme situation.

— Mon père prendra bientôt sa retraite. À seulement vingt-sept ans, je vais me retrouver à la tête d'une entreprise pour laquelle je ne ressens aucune ambition. Je vais devoir m'occuper de ma famille et de mes employés alors que j'arrive à peine à m'occuper de moi-même. Tout va tellement vite, au point que la situation a bien fini par me dépasser.

𝐥𝐨𝐬𝐭 𝑠𝑢𝑘𝑜𝑜𝑘Où les histoires vivent. Découvrez maintenant