Chapitre 23 2/2 : Battements d'ailes

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"Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l'on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n'assiège plus parce que la vie s'en est allée ailleurs"

Jean Raspail

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Le ciel s'était nappé d'or.

Les fumées de la ville s'élevaient dans l'atmosphère, se fondant à la buée matinale, froide et gelée.

Du haut de mon Perchoir, la plus haute des tours de la forteresse d'Erandor, je me laissais dévorer par mon amertume.

Au loin, des formes ailées voltigeaient sans craintes, rendant le ciel et ses montagnes hivernales plus majestueux encore.

J'aurais pu continuer à observer ce spectacle de longues heures durant. Tenter de le décrire par tous les mots du monde. Mais aucun de mes efforts n'égalerait jamais la réalité.

Une buée épaisse s'était formée autour de mon visage. J'avais solidement noué des gants de cuire rembourrés de fourrure autour de mes mains et jusqu'à mes poignées. Mais même avec cela, je sentais mes doigts se raidir doucement, tout comme mon corps.

Après deux heures à observer, j'avais l'impression de me transformer en statue de glace. Mon esprit s'étant envolé très loin d'ici. Au-delà des montagnes et de ce panel de couleurs horizontal.

Remuant doucement mes membres, je tournais les talons.
Mes pas me portèrent au jardin d'hiver, ou j'eus l'impression que le temps s'était figé.

Face à moi s'étendaient de longues rangées de roses sombres. Privées de la chaleur du soleil et de sa lumière, cette espèce s'était adaptée et avait radicalement mutée. Ne fleurissant qu'à l'ombre et sous des températures négatives, elle se plaisait tout particulièrement au jardin d'hiver. Autant dire qu'elle était le contraire de la rose des sables, mais elle n'en restait pas moins magnifique.

Délicate comme le velours et pourtant si robuste.

La faune et la flore de notre monde était surprenante, à la limite du merveilleux. J'avais encore tant de choses à découvrir de la vie qu'avait créé les dieux. Leurs caractéristiques, singularités et surtout, complémentarités.

Sur leur surface, de milliers de petits cristaux de glaces remplaçaient la rosée du matin. Les fleurs semblaient s'en gorger comme d'un immortel de l'ambroisie afin d'affronter cette longue journée.

Les températures avaient encore chuté de plusieurs degrés ces derniers jours. Je n'aurais pu imaginer résister aux froids polaires des mois auparavant ; aujourd'hui, la température extérieure était la moindre de mes préoccupations. Je savais qu'il fallait néanmoins rester prudente, j'avais vu un ou deux autochtones aux doigts manquants ou arborant des marques de brûlures sur la peau.
Si les porteurs de feu ne craignaient pas le froid, pouvant réguler la température de leur corps comme bon leur semblait, ce n'était pas le cas des autres habitants du royaume.

Je ne pouvais néanmoins nier que l'effet frigorifiant extérieur était un coup de fouet revigorant pour le moral. Je mettais un point d'honneur à sortir au minimum une fois par semaine. Sans compter mes escapades nocturnes, bien entendu.

Dour ha TanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant