Omnisciente

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Mes yeux s'ouvrent brusquement. Que s'est-il passé? J'essaye de me lever mais mon corps semble peser des tonnes. Je tourne la tête, la douceur de mon oreiller m'indique que je suis à nouveau dans ma chambre saccagée. je retrouve peu à peu mes sens. Je vois mon armoire, basculée à travers la pièce, je sens une odeur que l'on pourrait caractériser comme métallique, j'entends les pas de ma mère dans le couloir, je perçois une certaine humidité au niveau de mon dos, je devine un goût pléthorique, étrange. Me revoilà, consciente. Ma mère s'approche de ma chambre, entrouvre ma porte et me dis froidement de me lever. Je ne veux pas m'attirer encore plus de problème. Une fois debout, une certaine légèreté semble s'être emparée de moi, j'ai presque l'impression de léviter à chaque pas de plus en direction de la salle de bain. C'est étrange, je me sens très apaisée et confiante, comme si rien de mal ne pouvait traverser ma bulle, comme si aucune arme ne pouvait plus m'atteindre. J'avance vers le miroir pour contempler mon visage. Rien. Aucun reflet. Suis-je folle? Suis-je là? Je ne panique pas, je crois que je n'en reçois pas le besoin. Je marche vers ma chambre, il faut quand même que je trouve une explication. << Ploc, ploc, ploc... >> Je me faufile sous l'armoire afin d'atteindre mon lit, un spectacle sanglant s'offre à moi. Mon corps. Je regarde mes mains, je les touche. C'est paradoxal. je suis là, allongée devant moi, baignant dans une marre rouge. Des gouttes de sang dévalent les pieds de mon lit, d'autres tombent directement sur le parquet. C'est étrange, cette vue me rend impassible et ne me procure aucune émotion. Est-ce que cela signifie que je suis partie? J'avais sauté. J'ai réussi. Que suis-je sensée faire à présent? Ma mère me hurle de descendre, j'y vais. Les escaliers ne grincent pas. Arrivée en bas, je me positionne face à elle, aucune réaction. J'ai disparu, encore plus qu'avant. Elle m'appelle une troisième fois et se dirige très rapidement vers ma chambre. Elle monte, passe sous l'armoire et contemple mon corps, encore une fois, sans un rictus de tristesse sur son visage parfaitement homogène. Un fardeau de moins. Elle sort, la tête haute, l'esprit libre. Je sors de la maison. Je suis restée dehors à contempler ma fenêtre, j'ai vu maman faire des allers-retours entre en-bas et ma chambre. Je ne sais pas ce qu'elle à manigancé. Quelques minutes plus tard, la police arrive, monte et ramasse mon corps. Je les vois sortir de la maison, tout le quartier s'est rassemblé. Ils en ont rien à faire que cette pauvre Alice se soit suicidée, ils n'ont rien fait pour l'aider quand ils voyaient qu'elle se faisait frapper le matin et le soir. Pourtant, tous semble m'aimer. C'était une fille studieuse, très gentille, douce, à l'écoute, je la connaissais bien, je suis dévastée, comment une jeune fille si brillante peut mettre fin à ses jours d'une telle sorte. Que des mensonges. Maintenant, les gens veulent se faire plaindre, d'une façon ou d'une autre, mais ils veulent de l'attention, même s'il faut la récolter par des moyens macabres. C'est triste, les gens sont méchants et égoïstes... J'espère que je ne vous apprends rien, certains le savent, ceux qui sont sensés. J'ai beaucoup de recule face à cette situation, sereine et placide, j'aime ça.

C'est donc ça la mort... Pourquoi les gens en ont peur? Je les comprends en fait. Les gens ont peur de l'inconnu. Mais je trouve cela bête, qu'ils aillent peur de la mort, eux. On y passera tous. Pourquoi gâcher sa vie pour quelque chose d'inévitable? Ma vie était déjà gâchée, j'étais autorisée à en avoir peur. Pourtant, cela ne m'a pas empêchée de faire le grand saut. Il suffit d'un peu de volonté, maintenant, c'est dur à trouver. On emprunte le chemin le plus court ou le moins dangereux pour finalement arriver au même endroit et devoir affronter le même destin, c'est irréversible. Arrêtez de faire comme les autres. Les autres ont tort. Ils n'ont jamais eu raison. On est le seul à pouvoir faire changer les choses, ça ne sert à rien de compter sur les grands, aujourd'hui, on ne peut compter que sur sois-même, alors arrêtez de vous torturer l'esprit pour rentrer dans une case qui ne vous correspond pas du tout, juste pour passer entre les gouttes. Mes paroles sont inutiles, je le sais bien. On voit le résultat. N'y a-t-il que moi pour penser d'une telle façon? J'ai dit qu'il ne fallait pas poser trop de questions, rien n'a un sens de toutes manières, autant prendre la vie comme elle vient. Je n'ai pas réussi à faire cela, j'ai confié ma vie à l'obscure. Ne plus avoir à se battre contre le monde est très prisable. C'est ce qu'il me fallait.

Les voitures blanches s'éloignent et les gens retourne vivre leur parfaite petite vie à leur domicile, oubliant instinctivement la pauvre petite qui a mit fin à ses jours dès le moment où ils passent le cadre de leur porte d'entrée. Que suis-je sensée faire maintenant? Une infinité de possibilités s'offrent à moi, mais je reste là. Rien que le fait de ne rien avoir à me soucier me rend terriblement heureuse. Peut-être, vais-je aimer cette seconde vie? Je reste encore quelques minutes sur ce trottoir, je vois ma mère à travers les fenêtres discuter avec deux policiers, elle pleure, c'est tellement hypocrite, encore une fois. J'entends des bruits de pas sur ma gauche, tourne la tête et vois Erwan. Je lis sur son visage l'incompréhension, c'est douloureux. Je veux le suivre mais j'ai peur d'avoir trop mal. Il rentre, je vois maman le regarder et commencer à articuler quelques phrases. Je vois Erwan de dos, il met sa tête dans ses mains. J'ai tellement envie de pouvoir le prendre dans mes bras, de lui dire que je suis là et que je l'aime... Je suis égoïste. Si seulement il pouvait comprendre, j'espère qu'il me pardonnera. Jusqu'à présent, j'étais heureuse de mon choix, mais voir la seule personne pour qui je comptais être dévastée laisse deviner quelques regrets. S'il savait à quel point je l'aime. C'est trop dur, il faut que je m'en aille de cet endroit. Je traverse mon quartier puis le champ. Je veux aller à ma clairière, est-elle encore plus belle de jour que de nuit? Je l'atteins et m'allonge au bord de la source d'eau, j'admire le ciel vidé d'étoiles, comme mon cœur. Oui, j'ai fais le bon choix, il faut juste que je parvienne à faire le deuil. Le deuil. Je ne sais pas si c'est le bon terme, c'est les autres qui sont sensés faire le deuil. Bon, si personne ne le fait pour moi, j'estime que j'ai le droit de prendre la relève et de la faire pour eux. Je me sens seule. Vraiment seule. Enfin. Je réfléchis longtemps. Après une petite heure de tranquillité, je me décide à retourner voir mon frère. J'atteins ma maison, entre et monte à l'étage, vers sa chambre. Il est allongé sur le ventre, la tête bien enfoncée dans un coussin en train d'étouffer ces cris. Gros coup dans le cœur. Je m'approche et m'allonge à côté de lui. Je le serre fort contre moi, c'est réconfortant.Si seulement il pouvait le sentir. Je lui murmure que je serai toujours là. Il lève brusquement la tête. <<Alice? >> Des larmes commencent à couler sur mes joues, non, je ne vais pas lui répondre, ça le ferait souffrir. Il va s'en remettre. Le temps arrange tout n'est-ce pas? Il va continuer sa vie, avec son père qui l'aime, sa mère qui l'aime, sa défunte sœur qui l'aime. Moi je vais commencer ma mort, libre. Il n'y existe pas d'autre fin. C'est comme ça, on va bien finir par s'habituer. Je l'embrasse et m'allonge à nouveau. Je sais qu'il est fort, il va s'en sortir. Ce n'est qu'après tant d'années que je suis autorisée à être heureuse. La voie du bonheur m'appelle.

Rêve lucideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant