1. bribes de silence

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Ce soir-là, quand Theodore se glisse aux côtés de Pansy sur la banquette défoncée, une dizaine de verres vides s'empile déjà sur la table.

— Toujours là, Nott, grimace-t-elle tandis qu'il fait signe au barman de lui apporter un whisky.

— Malheureusement. Où sont les autres ?

La jeune femme prend le temps de triturer un instant la lanière de son sac avant de lui répondre.

— Blaise ne vient pas.

Theodore en soupirerait presque d'exaspération.

— Et Goyle et Greengrass ? s'agace-t-il.

— À ton avis ? Gregory ne t'a pas attendu pour s'attaquer à la vodka.

— Tu fais sonner ça comme un reproche. Tu aurais préféré que j'arrive plus vite ?

Un rire offusqué s'échappe des lèvres rouge sang de Pansy et elle braque ses yeux noirs dans les siens, presque menaçante.

— Combien de fois il faudra que je te le répète, Nott ? Personne n'a besoin de toi ici.

— Sans moi, vous n'auriez jamais su ce que Goyle faisait de ses soirées...

— Et ? se moque la jeune femme, blessante. Tu crois qu'avoir trouvé où il venait se bourrer la gueule quatre soirs sur sept fait de toi notre bienfaiteur ? Si l'un de nous avait réellement voulu savoir où Gregory passait ses nuits, tu peux être certain qu'on aurait mis la main sur ce bar bien plus tôt.

Sur ces mots, elle se détourne de nouveau et prend quelques gorgées de son cocktail, indifférente.

— Votre Whisky, monsieur.

Manquant de sursauter alors qu'un verre fait son apparition devant lui, Theodore renonce à répondre à l'un ou l'autre de ses interlocuteurs et vide cul sec la moitié de sa boisson.

— J'ai besoin d'air, lâche-t-il soudainement. Je serai dehors.

Il ne sait même s'il a été entendu lorsque, dans un soupir, il s'empare de sa veste, pose trente livres sur la table et se lève.

***

Theodore en est à sa troisième clope lorsqu'il assiste à la sortie remarquée de Pansy au bras d'un bel inconnu. Il tire une dernière taffe de sa cinquième lorsque la porte se rouvre sur Daphné, soutenant difficilement Gregory.

— Je pensais que tu serais parti, lâche-t-elle en l'apercevant, accoudé contre le mur.

Theodore hausse les épaules et vient se placer de l'autre côté de Goyle qui manque de tomber à chaque pas tant il titube.

— Tu as payé nos verres, reprend la jeune femme tandis qu'ils s'éloignent avec lenteur.

— Oui.

— Tu n'étais pas obligé.

— Non.

Un sourire vaguement amusé déforme la bouche de Daphné.

— Pas plus que tu n'es obligé de me faire la conversation, ironise-t-elle.

— Exactement. Viens, ici sera parfait, dit-il en les faisant bifurquer dans une rue déserte.

D'un mouvement parfaitement rôdé, Theodore sort sa baguette de sa poche et la pointe vers le ciel. Quelques instants plus tard, le Magicobus se matérialise devant eux et, au prix de quelques gouttes de sueur, ils y font entrer Gregory avant d'y pénétrer à leur tour.

— Au même endroit que d'habitude ? les apostrophe le contrôleur en leur remettant à chacun un billet.

— S'il vous plait, confirme Daphné. Assieds-toi là, ajoute-t-elle d'un ton très doux en faisant pression sur les épaules de Goyle pour qu'il s'exécute. Tu te sens mieux ? Tu n'as plus envie de vomir ?

Comme un gosse, son vis-à-vis agite la tête en signe de négation et se recroqueville dans son fauteuil. Rassurée, Greengrass se redresse et prend à son tour place, ses mains tordant et détordant son ticket de bus en un geste nerveux.

En la voyant faire, Theodore ne peut pas s'empêcher de repenser aux paroles de Pansy. « Si l'un de nous avait vraiment voulu savoir où Gregory passait ses nuits... » avait-elle dit avant qu'ils ne soient interrompus par le barman. Si ? Cela n'avait pas de sens. Pas avec le comportement presque maternel que Daphné adoptait envers le sorcier. Pas avec cette inquiétude noyée dans ses yeux et cette peur crispée sur son front.

— Tu es arrivé tard ce soir, commente tout d'un coup la jeune femme en larguant d'une pichenette désintéressée ce qu'il reste de son billet. Des problèmes au Ministère ?

— Pas plus que d'habitude.

Elle n'en montre rien, mais Theodore serait prêt à parier qu'elle est déçue de son manque d'entrain à discuter avec elle. Il peut le voir aussi nettement que ces deux petits morceaux de carton rouge qu'elle vient de semer au sol. Pourtant il ne parvient pas à s'en vouloir. Face à elle, il ne ressent jamais le besoin de s'épancher ou de se justifier. Dans le fond, il sait bien qu'elle ne parle que par souci de combler ce silence omniprésent qui l'obsède.

Quand elle descend du bus, elle semble de toute façon avoir déjà oublié son désappointement. Elle se contente de le remercier de l'avoir aidé avec Gregory puis saute du marchepied et s'empare du bras de celui-ci pour le raccompagner jusque chez-lui.

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