5. oraisons printanières

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Lorsque Theodore se regarde dans le miroir, il a l'impression d'être toujours le même. En un peu plus sinistre, peut-être. Mais avec le même teint d'albâtre, les mêmes cheveux d'ébène, les mêmes dents de travers, le même nez trop fin.

Quand, pour la première fois depuis la fin de la guerre, il s'est risqué à l'observer elle, ç'a été pour découvrir une étrangère. Les traits étaient toujours ceux de la Pansy qu'il avait pris l'habitude de côtoyer, mais son rouge à lèvres était trop foncé, ses yeux trop maquillés et sa jupe trop courte pour qu'il s'agisse réellement de la même personne.

Daphné en a conscience, il en est persuadé. Et pourtant, soir après soir, elle laisse son amie flirter avec des hommes souvent plus âgés qu'elle, avant de quitter le bar pour aller s'offrir sur un matelas différent de celui de la veille. Elle la contemple se détruire à petit feu toutes les nuits pour la ramasser à la petite cuillère le lendemain, avec une patience inchangée.

Il en va de même pour Gregory avec l'alcool, il le sait. Et il en allait de même pour Blaise avec la violence, il commence à le comprendre. En revanche, ce qui reste une énigme pour lui, ce sont les raisons qui la poussent à être aussi passive. Son immobilité l'agace. La façon dont ils se complaisent tous ensemble dans l'indignité l'insurge.

— Toujours pas décidée à te bouger le cul, Greengrass ? lui demande-t-il un soir où Pansy est encore et toujours à se trémousser au comptoir.

Le cul pas plus que les yeux, conclut-il en voyant que la jeune fille l'ignore. Pour ne pas céder à ses pulsions et la secouer de toutes ses forces, Theodore ingère une gorgée de whisky et sent ses paupières trembloter tandis que l'alcool descend dans sa gorge. Puis, poussant sans ménagement Goyle qui commence à piquer du nez, il se lève et se dirige en quelques enjambées vers la rangée de tabourets hauts autour de laquelle Pansy se dandine sous quelques regards appréciateurs.

Il sent l'agacement pulser au même rythme que son cœur. Il le sent se répandre dans son sang, gagner ses poings et le faire trembler. Il le sent se transformer en colère.

— Tu t'regardes dans la glace parfois ? lâche-t-il lorsqu'elle manque de se briser la cheville à cause de ses talons aiguilles.

Le regard de Pansy est aussi méprisant que le sien quand il se pose sur lui. Mais trouver une répartie digne de ce nom lui prend tellement de temps que le barman a déjà posé devant lui le nouveau whisky qu'il a commandé avant qu'elle ouvre la bouche.

— La réponse est supposée te concerner ?

Theodore étouffe un soupir et, profitant de l'état comateux de Pansy, s'empare du sac à main de la jeune fille, fouille à l'intérieur et en sort le petit miroir de poche qu'il était sûr d'y trouver.

— Ça t'arrive de t'en servir ? réitère-t-il en l'agitant sous son nez.

Trouver comment l'accessoire s'ouvre lui prend quelques secondes mais, quand le décor glauque du bar se reflète enfin dans sa paume, il s'empresse de le placer devant les yeux charbonneux de Pansy.

— C'est toi que tu vois, là ? Ou c'est une pute ?

Abasourdie, Parkinson reste statique et le miroir de poche embrasse avec fougue le comptoir en zinc tandis qu'il s'éloigne.

***

— Pourquoi t'as fait ça ?

Dans la quiétude relative qui occupe le fond du Magicobus, la voix de Daphné oscille entre le reproche et la crainte.

— Fallait qu'elle comprenne, Daphné. Il y a que comme ça qu'elle acceptera de changer.

— Et la traiter de pute était indispensable pour cela ?

Assis entre eux, Gregory émet un gargouillement qui pourrait presque s'apparenter à une prise de position.

— Où est le mal à pointer du doigt ce qu'elle est devenue ?

Theodore aurait pensé que la jeune femme mettrait un peu plus d'ardeur à défendre son amie, mais elle ne répond rien et s'adonne comme à son habitude au pliage hasardeux de son billet de transport.

— J'ai reçu une lettre du Département de la Justice Magique ce matin, déclare-t-il. Pour m'inviter à témoigner contre ou en faveur de mon père.

Comme il s'y était attendu, Daphné lui accorde un regard teinté de surprise. Elle ne s'attendait de toute évidence ni à ce qu'il lui adresse la parole, ni à ce qu'il lui fasse part de ses problèmes.

— Et alors ?

— Le procès des frères Lestrange est enfin terminé. Mon père est le prochain.

— Ce qui signifie que mes parents vont suivre, comprend Daphné.

— Ainsi que ceux de Pansy et Gregory. T'as peut-être la chance d'avoir une sœur pour témoigner avec toi, mais eux vont se retrouver tous seuls. Et se pointer au procès avec la gueule de bois n'est pas véritablement susceptible de les aider. Sans compter que...

Il s'interrompt un instant et jauge rapidement les alentours.

— L'honnêteté qui va avec l'alcool ne risque pas d'améliorer leur cas. S'ils ont l'air d'être du côté de leurs parents, tu peux être sûre qu'ils ne s'en sortiront pas de sitôt. Ce sont des coupables que le Ministère cherche. Pas des excuses.

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