2. la dette des épargnés

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Comme tous les matins, c'est la lumière du jour filtrant dans sa chambre mêlée à celle des impardonnables qui jaillissant dans sa tête qui réveille Daphné.

— Et merde... gémit-elle alors que le soleil agresse ses pupilles.

En un bond, elle se retrouve face à la fenêtre, la main tendue en un espoir bien vite avorté de fermer les rideaux. Ils sont toujours là, plantés à la grille du manoir, calepin à l'affût et appareil photo brandi, et son bras se fige quand elle les aperçoit. D'avance fatiguée par leur présence, elle se dépêche de s'éloigner avant qu'ils ne la remarquent à sa vitre et se défait de sa chemise de nuit trempée de sueur, qu'elle jette sur le tas formé par ses vêtements de la veille.

Elle n'a pas besoin de la regarder pour savoir que la robe qui se trouve à ses pieds porte les vestiges de sa soirée. Alors qu'elle tentait de hisser Gregory au premier étage de la demeure Goyle, la précarité de son équilibre l'a refait vomir avant qu'elle n'ait le temps de s'écarter. Si son matérialisme n'avait pas été emporté avec son innocence lors de la bataille de Poudlard, elle en aurait sans doute voulu à Nott d'avoir gâché sa tenue en la laissant se débrouiller seule avec leur ancien camarade. Mais elle sait très bien qu'elle ne peut exiger une telle chose de sa part. Theodore n'a jamais fait partie de leur groupe. Et sa présence au bar soir après soir en dit déjà long sur le soutien qu'il leur apporte.

Ou du moins s'en convainc-t-elle.

***

— Ils sont toujours là ? l'interroge Astoria lorsque, une fois prête, elle pénètre dans la salle à manger de la demeure.

— Oui.

— Tu es sûre que ça va aller quand je serai repartie pour Poudlard ? Ils sont insistants...

Perdue à mi-chemin entre la porte et la table, Daphné hausse les épaules.

— Ça fait six mois que ça va. Je devrais m'en sortir. Ils finiront pas se lasser et par partir.

— Qu'est-ce que t'en sais ? Tu es la première à le dire : ça fait six mois qu'ils attendent tous les matins devant notre grille qu'on leur donne de quoi se rassasier. Tant qu'ils n'auront rien à écrire dans leurs torchons, ils ne s'en iront pas. Et c'est exactement pour ça qu'on doit porter plainte. C'est une atteinte à notre vie privée ! On ne peut même plus sortir de chez nous autrement qu'en transplanant !

Tout en se servant du thé, Daphné ne peut que s'étonner de la naïveté de sa petite sœur.

— Ce n'est pas comme ça que ça marche, ici. Tu peux peut-être aller te plaindre auprès de Minerva McGonagall dès qu'un élève te manque de respect à Poudlard, mais au tribunal on se fera cracher dessus.

Le haussement de sourcils d'Astoria ne cache rien de son désaccord mais elle ne répond pas. À rien ne sert de se livrer de nouveau à la même lutte sans issue qui les oppose depuis le début des vacances de Noël, elles le savent toutes les deux.

— Je t'ai entendue sortir cette nuit, reprend Astoria.

— Ah. Et alors ?

— Il faut que tu arrêtes d'aller là-bas, Daphné. Ça te bouffe de l'intérieur de passer tes soirées avec eux.

— Gregory a besoin de moi.

— Non. Il a juste besoin d'arrêter l'alcool, et c'est pas en adoucissant ses fins de soirée que tu l'aides à aller de l'avant. Tout ce que tu fais, c'est l'enfoncer dans un gouffre encore plus profond que celui où il se trouve déjà !

Daphné ne se risque pas à répliquer. Elle connaît si bien les arguments de sa sœur qu'elle ne les écoute même plus.

— Tu ne leur dois rien. Ce n'est pas de ta faute si Millicent est morte. Elle n'essayait pas de te sauver et tu le sais très bien.

Presque imperceptible, le ricanement de Daphné résonne pourtant nettement dans le calme de la pièce.

— Tu m'agaces, Astoria. Je sais très bien qu'elle n'est pas morte parce qu'elle essayait de me sauver.

Elle est morte parce que j'essayais de me sauver.

AsphodelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant