9. les murmures des asphodèles

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Quand Theodore est arrivé, tout était pur. La pierre lisse et immaculée devant lui, l'odeur timide des fleurs de cerisiers, et même le gazon bien entretenu sous ses pieds. Maintenant, la fumée brouille tous les horizons, rendant la dalle funéraire aussi grise que ses comparses plus anciennes, le tabac masque tous les arômes autres que le sien et les cendres s'amoncellent autour de ses chaussures.

Six mégots gisent déjà au sol, mais il n'est pas décidé à s'arrêter. C'est devenu presque mécanique, maintenant. Un cycle continu fait de relents âcres et de serpentins troubles qui s'évanouissent dans l'air sans jamais vraiment disparaître.

— Comment tu trouves mon épitaphe ?

La voix est amère, presque autant que la drogue que la surprise lui a fait inhaler une seconde de trop et le force à tousser pitoyablement.

— Incisive, répond-il à Astoria Greengrass qui s'est laissée tomber à ses côtés. Pas à son image.

La jeune fille ricane.

— C'est parfaitement à son image.

— Non. C'est à la nôtre.

Les prunelles de sa voisine se posent sur lui, interrogatrices, et l'envie de la gifler lui chatouille le bout des doigts.

— Viens pas me prendre pour un con, Greengrass. T'as pas essayé de rendre justice à ta sœur, t'as juste cherché le meilleur moyen de te servir de ce qu'elle avait fait pour trouver un coupable.

Le goût de la violence semble s'être déplacé de lui à Astoria car il sent bientôt sa main s'abattre avec violence sur sa joue, ponctuée d'un « Comment oses-tu ? » haut perché. Et lui, assis dans l'herbe devenue boueuse, étourdi par la fumée de ses cigarettes et alourdi par leur conversation, il se met à rigoler.

Il n'y a rien de rassurant dans les spasmes énervés qui le secouent, mais face à son hilarité, la courbe des épaules d'Astoria reprend une forme plus naturelle et elle s'arroge le droit de voler une cigarette, sa dernière, à Theodore.

— T'abîmes tout, Greengrass, lâche-t-il. T'as niqué le carton de mon paquet et c'est toi que tu vas niquer en prenant cette clope.

Mais le filtre glisse tout de même entre les lèvres gercées, la peau du pouce s'effrite sur la roulette du briquet et une flamme hésitante vient embraser l'extrémité de la cigarette.

— C'est dégueulasse, déclare Astoria après avoir pris quelques taffes.

— J't'avais prévenue, rétorque-t-il. C'est vraiment qu'à moi que t'en veux ?

— C'est à toi que j'ai envoyé une lettre.

— C'est suite à ta lettre que je me suis occupé de Gregory et Pansy.

— Mais pas de Daphné.

— Parce qu'elle allait bien.

La cigarette s'échappe de la bouche de l'étudiante et son pied vient l'écraser avec hargne dans la terre humide.

— Visiblement pas, crache-t-elle.

Avec une douceur soudaine, elle tend la main et repousse avec précaution un pétale venu s'égarer sur la pierre tombale devant laquelle ils sont assis, comme elle aurait repoussé une mèche de cheveux derrière l'oreille de sa sœur.

— Je sais.

Theodore se relève et fait disparaître d'un sort les mégots qui les entourent et le paquet de clopes désormais vide. De leur existence ne reste que l'odeur entêtante. Puis il agite à nouveau sa baguette et une gerbe de fleurs d'une blancheur de neige se pose sur la tombe, cachant à demi l'épitaphe insolente inventée par Astoria.

— Des asphodèles, commente celle-ci.

— Des asphodèles, confirme-t-il.

— Tu crois sérieusement à toutes ces conneries ?

— Y a pas besoin d'y croire. Faut juste imaginer.

Astoria se tord le cou pour jeter un regard en direction d'une autre rangée du cimetière puis se relève à son tour.

— Elle te parle, ta mère ?

— Ouais.

— Avec des putains de pétales ?

— Elle a plus que ça. Et moi aussi.

Theodore intercepte le regard sceptique que son interlocutrice pose sur le bouquet de fleurs.

— C'est débile, conclut-elle.

Il est d'accord mais ne dit rien.

— Mais si t'y crois, tant mieux. Je veux que sa tombe soit fleurie tous les jours quand je serai à Poudlard.

Il entend plus qu'il ne voit Astoria transplaner. En revanche il voit plus qu'il n'entend le flash indécent provenant de derrière la rangée de cerisiers. Il ne réagit pas, fixe l'air de rien les mots gravés dans le marbre. « Le seul cadeau qu'elle se soit jamais fait », lui apprennent ceux-ci. Par automatisme, il tourne la tête en direction d'une autre tombe, qu'il ne voit pas mais qu'il sait être là, quelque part, d'autres mots gravés dans sa pierre salie par les ans.

« Le seul cadeau qu'elle n'a pas mérité », souffle-t-il, se remettant à la place de l'enfant perdu qui enterrait sa mère et lui rendait un dernier hommage avec cette phrase, voilà dix ans.

Il sourit sans savoir pourquoi puis, d'un pas énergique, contourne les quelques arbres pour se retrouver face au journaliste qui l'épiait. Son poing s'abat sur lui sans qu'il l'ait réellement prémédité et, à la manière des cigarettes qu'il enchaînait plus tôt, il recommence encore et encore son entreprise jusqu'à ce que tout autour de lui soit teinté de rouge.

Quand il transplane, il sait d'avance qu'il aura des ennuis. Mais il les repousse bien loin dans son esprit et franchit la porte du bar sans autre objectif que d'y commander un whisky.

— Enfin là, Nott, grimace Pansy quand il se glisse face à elle et Gregory.

— Ouais.

Toujours là, rectifient-ils tous trois dans leur fort intérieur.

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