7. la justice de la bourse

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Au bout de dix minutes, vaincu, Theodore renonce à faire son nœud de cravate et balance le bout de tissu sur son lit. Les aiguilles imperturbables qui s'obstinent à tourner au-dessus de sa tête lui octroient encore quelques minutes et il décide de les consacrer à une dernière clope. Qu'il porte une cravate ou non, ce n'est de toute façon pas ça qui lui portera chance. Quoique. La dernière fois, il venait à peine de la passer autour de son cou qu'un hibou était venu lui annoncer que l'audience de son père était reportée.

Le dos appuyé contre la balustrade dégueulasse de ce que l'agent immobilier a osé qualifier de balcon, il inhale, savoure et recrache la fumée en contemplant les voitures qui se pressent en contrebas. C'est bruyant, ça pue, c'est sale, et pourtant ça le fait sourire comme un con, autant que le tabac qui envahit ses poumons.

Le temps s'écoule, mais si lentement qu'il s'accorde une deuxième cigarette. Ses doigts tremblent d'excitation quand, fébrile, il s'agite sur son briquet en pensant à la journée qui l'attend. Quelques pénibles poignées de minutes, un dernier verre de whisky, et il pourra enfin passer à autre chose.

***

— Monsieur Nott. Si vous voulez bien vous lever, c'est à votre tour de reconnaître ou non les chefs d'accusation portés à l'encontre de votre père.

L'heure avancée fixée pour le procès fait que peu de regards le suivent tandis qu'il se met debout pour grimper à la barre. Mais le seul qui compte vraiment, il le sent perforer la peau de ses omoplates avec une intensité peu commune. Dès qu'il atteint la tribune surélevée, il baisse les yeux pour trouver ceux de son père, attaché en contrebas. Ses cervicales protestent, mais jamais il ne s'est senti plus enclin à se les rompre qu'en cet instant de divine supériorité.

Lorsque les questions se mettent à pleuvoir sur lui, il se surprend à être incroyablement calme. Il reconnaît tout. La possession d'objets de magie noire, les meurtres, les propos discriminatoires, les pots de vin, la fuite d'informations. Puis il brosse le portrait désabusé de cet homme qui l'a élevé de manière si sévère et si lâche à la fois.

— Une dernière chose, le retient le juge alors qu'il pensait en avoir terminé.

— Oui ?

— La donation de votre manoir. Qu'attendez-vous d'elle ?

Drago l'avait averti qu'il aurait droit à cette demande. Personne ne voudrait jamais croire qu'elle ne cachait pas de mauvaises intentions. Pas alors qu'il portait avec et en lui l'héritage qui était le sien.

— Rien de plus que ce pourquoi elle est faite.

— À savoir ?

— Qu'elle profite au département de recherche contre la scrofulite de Sainte Mangouste. À ce qu'il parait, eux sont efficaces.

— Sérieusement, fils ?

Theodore ne prête pas attention à la provocation de son père ; le juge non plus. La sentence est prononcée, le marteau frappe son socle, le coupable est emmené et les quelques assistants se lèvent. Parmi eux, Theodore repère Daphné et, plus par automatisme que par réelle envie, il la rejoint.

— Pansy et Gregory nous attendent au bar. Pour fêter ça.

Il grimace.

— C'est pas une bonne idée.

— C'est la dernière fois. On s'en est sorti, maintenant.

Si elle n'avait pas eu l'air aussi démunie, Theodore se serait sûrement moqué de sa naïveté et agacé de son inconscience. Mais elle semble si vide qu'il n'en a pas le cœur et préfère déclarer :

— C'est gentil à toi d'être venue.

— Je ne faisais que transmettre le message, réplique Daphné.

— Si tu le dis. La journée a dû être longue pour que tu oublies l'existence des hiboux.

Le sifflement d'exaspération qui fuse des lèvres de son interlocutrice le fait sourire. Pour la première fois depuis longtemps, il se sent bien. Enclin à converser et à plaisanter.

— Je voulais voir ce que tu avais à dire, finit-elle par admettre. Quelles raisons tu trouverais pour descendre ton père.

— J'ai pas eu à chercher, on me les a tendues sur un plateau d'argent.

— Ah bon ?

Ils sont presque arrivés dehors lorsque Daphné s'étonne, avant de reprendre :

— Il ne m'a pas semblé entendre le juge parler de la mort de ta mère, pourtant.

— Je n'en ai pas parlé non plus.

— Tu as parlé de la scrofulite. C'est pareil.

Les doigts de Theodore s'enroulent si vite et si violemment autour du poignet de Daphné qu'elle gémit de douleur.

— Parle pas de ça ! crache-t-il. Personne n'a le droit de parler de ça !

— Il y a plein de choses que tu n'avais pas le droit de faire et que tu as faites quand même.

La réponse le surprend tellement qu'il en oublie de maintenir sa poigne et que la jeune fille se dégage en se frottant l'épiderme.

— Que... Comment ça ?

Daphné rougit mais ne daigne pas ouvrir la bouche avant qu'il n'ait esquissé l'envie de réitérer son geste.

— Pansy et Blaise allaient très bien, avant le bar, lâche-t-elle précipitamment avant qu'il atteigne son but.

Il ricane.

— Plains-toi à Gregory alors.

— Gregory n' pas cherché à nous dire ce qu'il faisait. On savait qu'il allait pas bien, mais avant que tu ne nous dises où il passait ses soirées, on pouvait faire comme si on l'ignorait. Tu leur a enlevé ça.

— Ils se voilaient la face ! s'insurge Theodore.

— MAIS ILS ALLAIENT BIEN ! Et moi je...

Perdue dans ses confessions, Daphné ne prête pas attention à la pluie qui vient mourir en gouttes épaisses sur les pavés.

— Tu quoi ? Tu allais bien aussi ? Eh bien dans ce cas remercie-moi, j'ai décidé de corriger l'erreur que j'ai faite en pensant que vous étiez un groupe soudé !

— Non, tu n'as rien fait du tout ! Tu... Tu comprends pas ! T'as jamais compris et t'idéalises tout ! T'as cru quoi ? Qu'avoir des amis t'empêchait d'être lâche ou d'atteindre tes fins à leurs dépens ? T'es tellement naïf, Theodore !

— Alors explique-moi si je comprends rien !

Perdu, il essaie d'attraper la main de son ancienne camarade, mais celle-ci glisse entre ses doigts avec la fluidité d'un papier dans un caniveau et les mots meurent au fond de sa gorge.

— On devrait y aller. Ils vont nous attendre.

Deux phrases, un craquement, et Daphné a disparu. Pour de bon, dans un sens.

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