Chapitre 1

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J'essaie de maintenir un paquet entre mes genoux lorsque celui-ci m'échappe et tombe au sol. Maudits cadeaux de Noël ! Pourquoi les enfants ont-ils besoin de tous ces jouets pour commencer ? Je peste une seconde de plus quand mes doigts se collent à un nœuds décoratif censé magnifier mon paquet cadeau. Encore faudrait-il que j'arrive à l'emballer proprement...

C'est le moment que choisit ma mère pour m'asséner le coup de grâce :

- J'imagine que l'on ne te verra pas non plus cette année ?

- M'man..., soupiré-je en tenant plus fermement le jeu de société entre mes genoux osseux.

- Clay !, reprend-t-elle sérieusement.

Et oui, mes parents pensaient attendre un garçon et tout était déjà prêt avant mon arrivée. Clay est un nom de garçon et c'est peut-être parce que j'aurais du être quelqu'un d'autre que je n'ai jamais vraiment trouvé ma place dans ce monde.

Alors que je me débats avec le papier afin d'échapper à une discussion gênante, ma mère décide finalement de venir à mon secours. A l'aide de ruban adhésif, elle scotche les différents côtés du paquet que j'ajoute à une pile déjà très haute de cadeaux.

- Ne te braque pas, me supplie-t-elle, c'est juste une question.

- Je sais.

Je sais également que ni elle, ni aucun autre membre de ma famille ne comprendrait ce sentiment d'étrangeté qui m'habite depuis l'enfance. Je ne me sens exister que par mon travail : la lecture. J'ai la chance incroyable d'avoir fait de ma passion, un métier et c'est une immense fierté pour moi, même si je ne peux la partager avec personne. Très tôt, j'ai commencé à lire, c'était comme un mécanisme de défense, un moyen de fuir, d'échapper à la réalité. Et chaque retour brutal dans le monde réel était comme un électrochoc douloureux et déprimant.

Une main se pose sur ma joue, me tire de mes souvenirs et m'arrache un sourire.

- Je t'aime ma chérie, dit-elle comme à chaque fois que nous abordons ce sujet épineux.

Je lui souris maintenant de toutes mes dents avant de me lever du canapé en prenant appuie de mes paumes sur mes cuisses pour sauter comme un ressort.

- Il faut que je me dépêche d'apporter tout ça, lui réponds-je. Puis, j'ai encore du travail qui m'attend.

Ma mère reste debout près de la table sur laquelle repose tout un tas de rubans de couleurs, d'étiquettes pour les noms, de paillettes et d'autocollants pour décorer les paquets cadeaux. Les imaginer tous sous le sapin au soir du 24 Décembre me provoque un frisson désagréable qui naît au creux de mes reins et remonte jusqu'à ma nuque.

- Combien vous serez ?, soufflé-je en fixant la pile de cadeaux.

- Avec ou sans toi ?, plaisante-t-elle.

Le nez retroussé, mi-agacée, mi-amusée, je plonge mon regard dans le sien.

- Quatorze.

- Quatorze..., répété-je soulagée.

Dont au moins dix me demanderaient ce que je deviens, ce que je fais dans la vie. Et si je leurs répondais, ils me répliqueraient : « Oui mais que comptes-tu faire plus tard ? » comme si je n'avais pas d'avenir actuellement. La pire des conversations, c'est celle concernant le néant de ma vie sentimentale, et pourquoi à 28ans je leurs ai jamais présenté personne. Serais-je lesbienne ? Aurais-je vécu un traumatisme qui m'empêcherait d'avancer sereinement dans la vie et de construire une relation solide et durable ?

C'est déjà assez pénible tout au long de l'année alors je refuse de rester assise à table à sentir leur regard sur moi le soir de Noël. Qu'il s'agisse d'inquiétude, de pitié et de tristesse. Je suis le sujet principal de tous les débats, et suis de toutes les discussions car je n'ai pris aucune voie dîtes « normale ». Je fais un peu tâche dans une famille aussi traditionnelle que la mienne. Même mon frère, bien plus jeune que moi est marié et père de famille.

Moi, je coure après le temps, je voudrais qu'il cesse d'avancer et sans cesse retourner en arrière.

Lorsque l'on ouvre un livre, c'est très exactement cet effet qui se produit. Les pendules s'arrêtent et on se met à vivre en dehors du temps et de l'espace. Nous sommes connectés à des êtres fictifs qui nous apportent pourtant parfois bien davantage que des êtres faits de chair et de sang. C'est ce que je ressens au plus profond de mon cœur. Je vibre plus avec un livre ouvert sur mes genoux que dans les bras de n'importe quel homme qui soit passé dans ma vie.

Alors que ma mère part cacher les cadeaux destinés aux enfants de la famille, il en reste certains qui ne sont pas emballés et que je dois emporter avec moi.

Ils sont alignés sur la grande table, installée spécialement par mon père à l'occasion des fêtes de fin d'année.

Je ne veux plus être la fille au bout de cette table alors que ma mère a pris l'habitude de placer les couples face à face. Pendant des années, j'ai été presque ignorée, déjà absente.

Je passe par la cuisine pour vérifier que tout est dans mon panier avant de revenir au salon où ma mère tient dans ses bras des jouets qu'elle tient également à offrir :

- Je t'aide à les porter jusqu'à ta voiture, annonce-t-elle.

- Tu es gentille, merci.

Je l'accompagne, moi-même chargée de trois petites peluches aux yeux brillants comme des bornes d'autoroute que je dois précipitamment lancer sur la plage arrière pour décrocher :

- Clay Mitchell ?

Love WarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant