- Clay Mitchell ?
- Mais qu'est-ce que tu fous ? Tout le monde attend ton article pour boucler le numéro !
- Bonjour à toi aussi Bree, dis-je en remontant le col de mon manteau.
Je me penche pour embrasser la joue de ma mère et lui adresse un signe de main avant de monter du côté conducteur.
Elle reste derrière la voiture et me fait de grands gestes jusqu'à disparaître de mon rétroviseur lorsque je tourne à l'angle au bout de la rue.
- Justement, j'ai un petit problème, avoué-je en accrochant mon téléphone au tableau de bord pour libérer mes deux mains.
- Lequel ?, soupire-t-elle exagérément.
- C'est bientôt Noël Bree.
- Et alors ?
- Je ne peux pas choisir qu'un seul livre.
Voilà des jours que je me prends la tête sur une sélection de Noël. Mon travail de critique littéraire consiste normalement à en lire plusieurs par semaine pour n'en garder qu'un et lui consacrer un article dans un magasine très populaire.
En cette période de surconsommation, j'ai mauvaise conscience de ne sélectionner qu'un seul livre à mettre en avant.
- Je pensais... tu crois qu'on pourrait diviser ma double page en trois ?
Selon moi, chaque auteur mériterait un peu de pub pour booster ses ventes et se faire connaître. Je choisis généralement des livres d'auteurs inconnus, passant parfois des nuits entières sur Internet pour trouver des auto-publications et tomber sur le synopsis qui me chatouillera le corps, des orteils jusqu'au bout des doigts.
Je rêve, j'aime rêver, me plonger dans un récit, échapper à cette vie, à ce monde. Être payée pour simplement survivre est quelque chose que je ne réalise pas encore. Bree m'a offert cette chance.
- Ils sont vraiment géniaux tous les trois et je t'assure que je suis vraiment incapable de faire un choix.
Elle ronchonne quelques secondes au bout de fil mais je sais qu'elle finira par craquer.
- Tu as déjà tout préparé, n'est-ce pas ?
- Juste les résumés, réponds-je en actionnant mon clignotant.
- Combien de temps ?
- Combien tu me donnes ?
Nous sommes les 13 Décembre, la sortie est prévue pour le 20. Les timings sont serrés mais j'admets que rien ne me plaît plus dans la vie que de lire pour ensuite rédiger un avis basé uniquement sur mon ressenti. Je peux oublier de manger et m'habiller pour enchaîner les tomes d'une trilogie, emmenant le livre partout avec moi jusque dans le bain. Les auteurs sont souvent flattés que j'arrive à entrer si facilement dans leur tête. J'ai l'impression de capter les messages cachés dans chaque paragraphe, me laissant totalement happer par la fiction.
- Je te donne trois jours, capitule ma patronne.
- Tu auras mon article dans deux, lui promets-je.
Elle rie et je la remercie. Bree sait que je n'ai, pour ainsi dire, pas de vie. C'est pour ça qu'elle m'accorde toute sa confiance. Je peux lire jusqu'à cinq livres par semaine et si aucun ne me chamboule assez profondément, je me tourne vers mon immense bibliothèque et pioche un roman datant parfois de plusieurs mois.
- Si tu passes au bureau, on pourrait voir ensemble pour la maquette, tente-t-elle.
- Aujourd'hui, ça ne sera pas possible. Demain, à la première heure si tu veux. Je t'apporte le café, dis-je en me garant et en tirant sur le frein à main.
- Deux sucres et pas de crème, me rappelle-t-elle avant de raccrocher.
Je secoue la tête de désespoir, un immense sourire amusé sur le visage avant de tapoter la surface froide de mon smartphone pour couper la communication.
La clé de la voiture est balancée dans mon sac qui s'accroche à mon épaule gauche. Dans le coffre, je trouve les cadeaux achetés par ma mère et récupère également les peluches avant de m'éloigner du véhicule.
Tous ces cadeaux sont destinés au Noël des enfants pauvres. Une cause qui me tient à cœur chaque année. A défaut de passer cette fête avec ma famille, je veux apporter un peu de bonheur à ceux qui eux, n'ont jamais eu le choix. Je sais que je suis une privilégiée et que mes réactions sont parfois contestables. Ne rien comprendre au fonctionnement de ce monde n'est pas forcément une excuse pour le rejeter. Alors, au fond de moi, je culpabilise d'être différente et de me mettre, volontairement sur la touche.
- Attendez !, entends-je crier derrière moi.
La pile de paquets dans les bras, une licorne dans le pli de mon coude, je ne vois pas qui m'adresse la parole et si je me retournais maintenant, il y a fort à parier que le jeu de cartes écrasé contre ma joue basculerait pour tomber dans le vide. Mes bras fatiguent jusqu'à ne presque plus rien sentir. Je fronce les sourcils et remue les doigts avant d'ouvrir grand les yeux, constatant que les cadeaux tiennent seuls devant moi.
Des mains puissantes frôlent les miennes gelées et attrapent les trois boites du haut. Lorsque je fais un pas en arrière, je vois apparaître devant moi un jeune homme blond à la barbe naissante et aux bras si imposants que ses manches semblent sur le point de craquer au niveau des biceps. Il me regarde, tout sourire alors que je ne tiens plus qu'un tout petit labyrinthe entre mes doigts serrés. Mes épaules me font souffrir après seulement une dizaine de mètres et lui semble pouvoir rester dans cette position toute la journée sans se fatiguer.
Je viens me masser les côtes et inspire de nouveau profondément pour faire disparaître un violent point de côté.
- Merci, soufflé-je sans cesser de le fixer pour tenter de le reconnaître.
Mais impossible de mettre un nom sur ce visage. De grands yeux bleus, de belles dents blanches, des sourcils épais, aussi blonds que ses cheveux ébouriffés et que sa barbe fournie qui cache de fines lèvres rosies par le froid.
- C'est normal, me répond-t-il avant de tourner des talons.
Les cadeaux rejoignent une montagne d'autres dans le fond d'un hangar et je reste là, les bras ballants et légèrement endoloris avec mes trois peluches alors qu'il se déplace très aisément avec des jeux de constructions en bois et un camion de pompier. Il aide plusieurs autres personnes, toujours avec ce même sourire serviable aux lèvres, avant de revenir vers moi.
- Si vous ne voulez pas qu'elles sont mouillées, dit-il en désignant les peluches, il y a un bureau sur la droite.
- Oui je sais.
Il me regarde alors d'un air de dire « Eh bien qu'est-ce que vous attendez ? » et j'en profite pour reprendre :
- J'ai encore quelques petites choses à récupérer dans la voiture.
- Très bien, je viens avec vous.
Il marche en direction de la très haute porte coulissante du hangar avant de se retourner pour être sûr que je le suis. C'est la première fois que je le vois ici, j'en suis certaine. Et pourtant, je viens depuis 7ans.
- Au fait, je m'appelle Spencer.
- Clay, réponds-je en venant me placer près de lui, une licorne bien serrée contre ma poitrine.
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Love War
RomanceClay ne croit pas en l'amour, sauf celui qui est décrit dans les livres qu'elle dévore. Critique littéraire pour un grand magazine féminin, elle se perd dans la fiction et s'éloigne peu à peu du monde réel. Heureusement, il y a une tradition dans sa...