Lorsque je me gare sur l'immense parking de l'hôtel de Ville, un gros pick-up GMC est déjà rangé à ma gauche. En sortant de la voiture, je note qu'une chaîne en argent est accrochée au rétroviseur et qu'une médaille vacille encore. Le propriétaire du véhicule est arrivé il y a peu de temps et je parie que je sais de qui il s'agit.
Dans le coffre, je récupère une boite en carton pleine de décorations en tout genre et boitille jusqu'à l'entrée du bâtiment. Je soupire d'aise quand la chaleur du hall vient caresser mon visage. Cet hiver est décidément rude.
Spencer est dans un coin, entrain de monter un sapin artificiel. Je fais le tour de la salle de réception pour saluer les bénévoles avant de terminer par cet homme bien mystérieux. Il est accroupis et fixe la base du sapin pour qu'il ne vacille pas lorsqu'on le décorera. Il n'utilise aucun des outils à sa disposition et serre à la main les vis et écrous qui servent à maintenir le tronc de l'arbre.
- Salut.
Il se retourne prudemment, comme s'il n'était pas certain que ce soit à lui qu'on s'adresse.
- Shay, sourit-il.
- Clay, dis-je en retroussant le nez.
- Clay, pardon.
- C'est pas grave, répliqué-je en m'agenouillant près de lui.
Je joue avec un serre joint qui traîne par terre en attendant qu'il termine.
- C'est un nom peu commun pour une fille, ajouté-je.
- Pour une fille peu commune.
Je rougis violemment lorsqu'il me sourit et pose les mains sur mes genoux pour me relever en me cachant derrière mes cheveux bruns décoiffés. Aujourd'hui, Spencer porte un jean qui moule à la perfection ses cuisses ainsi que ses fesses généreuses et on ne peut l'ignorer étant donné la position qu'il garde pour monter le sapin. D'ailleurs, ce doit être pour ça que trois jeunes femmes restent près de la porte, directement dans l'axe pour bien le détailler.
Je commence à trier les branches par taille et reprends :
- Alors, tu as décidé de revenir ?
- Je serai là aussi longtemps qu'on aura besoin de moi, répond-t-il.
- Même le soir du réveillon ?, demandé-je intriguée.
- Oui.
Dans son tee-shirt blanc, ses bras ont l'air surdimensionnés. Il bande des biceps pour se relever tout en récupérant les outils au sol. Il les range dans une caisse en métal et ses épaules s'arrondissent lorsqu'il la soulève.
- Dommage que tu ne sois pas là, relance-t-il.
Je fronce les sourcils et n'hésite pas à le suivre pour demander :
- Comment ça ?
Puis, je me souviens que je fixais Spencer pendant que je parlais à Bree au téléphone l'autre jour.
- C'est juste un pot traditionnel au boulot, expliqué-je.
- Alors, tu vas venir ?
N'est-ce pas complètement dingue d'imaginer qu'il est entrain de me le demander avec un air sincèrement intéressé ? Je me mords violemment l'intérieur de la joue alors qu'il dépose ses outils dans un coin et que nous retournons vers le sapin qui doit mesurer dans les deux mètres cinquante.
- Oui, je suis là tous les ans.
Je manque d'avaler ma salive de travers lorsque d'un geste vif, il déplie un escabeau qu'il place devant le tronc d'acier.
Toujours cet étrange sourire sur ses lèvres, puis il me désigne la structure et dit simplement :
- Les dames d'abord.
Il y a tellement de branches à accrocher que ça risque de nous prendre des heures à le monter. Des heures à passer près de Spencer, de son parfum épicé, de ses bras tatoués et musclés.
Une tête de lion disparaît à moitié dans la manche gauche et légèrement humide de sueur. Ses deux mains tiennent fermement l'escabeau et je dois me glisser tout contre lui pour monter, frôlant son torse et disparaissant presque entre ses bras.
- Ça va ?, demande-t-il pour s'assurer que c'est stable.
Je ne sais vraiment pas quoi lui répondre alors que la chaleur de son torse frappe mon dos comme les rayons du soleil par une chaude après midi d'été. Si je retire ma veste maintenant, tout le monde le remarquera. Alors, tout en retenant mon souffle, je monte les trois marches avant de me retourner.
- Ça ira, réponds-je peu sûre de moi. Tu me passes la dernière pièce. C'est le haut du sapin, là-bas.
Il lâche l'escabeau que se met à vaciller avant que je n'arrête de trembler. Cette partie du sapin est presque aussi grande et lourde qu'un vrai. Je dois me hisser sur la pointe des pieds pour la fixer à la structure.
Au moment de tourner la vis, l'escabeau se dérobe sous mes tennis glissantes et je n'ai que deux solutions : m'accrocher au sapin, ou tomber. Quoi qu'il en soit, je vais vraiment finir par me coller la honte devant tout le monde.
Je ferme les yeux et m'attends à toucher le sol jusqu'à sentir deux mains se poser sur mes hanches et m'élever dans les airs telle Bébé dans les bras de Johnny. Je repasse brièvement ce passage de dirty Dancing alors que je sens le rouge me monter aux joues et qu'en réalité, la pression de ses doigts sur mes côtes est douloureuse.
Ce qui fait office de tabouret oscille de droite à gauche avant de se stabiliser mais plutôt que de me reposer, Spencer m'attire à lui. Il me tient fermement et j'ai le réflexe de plier les genoux et d'entourer son cou pour ne pas effleurer le sapin ou l'escabeau.
Ça semble si facile pour lui de me soulever qu'il fait même plusieurs pas en arrière avant d'échanger nos positions. Il rit alors que je n'ai jamais été plus gênée de toute ma vie. Détachant très lentement mes bras de ses épaules, je déplie également les jambes et retrouve la terre ferme après de longues secondes passées contre son torse, aussi dur et ferme que ses bras.
- On devrait commencer par les branches du bas, me dit-il avec un clin d'oeil.
Puis il m'abandonne là, toute penaude devant le squelette d'un sapin en plastique.

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Love War
RomanceClay ne croit pas en l'amour, sauf celui qui est décrit dans les livres qu'elle dévore. Critique littéraire pour un grand magazine féminin, elle se perd dans la fiction et s'éloigne peu à peu du monde réel. Heureusement, il y a une tradition dans sa...