Chapitre 4

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Quelqu'un s'occupe de charger les dizaines de cadeaux à l'arrière d'un camion tandis que j'avance vers mon G.I.

- J'aurais sûrement dû te prévenir, dis-je en aspirant ma lèvre inférieure.

- Quoi ? J'ai fais quelque chose qu'il ne fallait pas ?, demande-t-il en regardant les paquets sur sa droite.

Certains sont un peu froissés et d'autres emballés selon une méthode très personnelle mais dans l'ensemble :

- Non, tu t'en sors bien. C'est juste qu'on doit coller des nœuds dessus, expliqué-je en désignant les chariots de cadeaux qui partent en direction de la grande porte. Bleu pour les garçons et rose pour les filles. Comme ça, c'est plus facile de les distribuer le soir de Noël.

- Je suis désolé, répond-t-il tout penaud en regard sa pile.

- C'est la première fois que tu as l'occasion de participer au Noël des enfants pauvres ?

- Oui d'habitude je suis...

Il marque une pause et alors que je hausse un sourcil pour avoir la suite, il secoue la tête et termine :

- Je ne suis pas dans le coin.

- Tu vis loin d'ici ?, le questionné-je sans avoir l'intention d'être intrusive.

- La plupart du temps.

Puis, il m'adresse un sourire mystérieux pour que je ne cherche pas à le faire parler davantage. Message reçu et nous en revenons à ces cadeaux magnifiquement emballés. Je ris lorsque Spencer soupire bruyamment.

La théorie du genre est un concept totalement dépassé. Et puis quoi si une fille reçoit un jeu de construction ? Ça n'a vraiment rien de dramatique.

De toute façon, le soir de Noël, la plupart des jouets sont utilisés et échangés. Les enfants passent des heures à s'amuser ensemble et chacun repart avec celui qui lui plaît le plus.

Pour le rassurer, je pose une main sur le bras de Spencer qui reste tête baissée, un peu honteux. Mes yeux s'écarquillent alors que sous son pull, on dirait qu'il porte une de ces coques de hoquet. L'arrière de son biceps est dur comme de la roche. Je m'y attarde et laisse mes doigts glisser jusqu'à son coude puis revenir sur son avant bras moulé dans son pull en laine. Avec une seule main, je ne fais même pas le tour de son poignet et mon stupide regard reste bloqué sur ses longues phalanges calleuses. On dirait un bûcheron ou peut-être un... :

- Il suffit de reprendre depuis le début, dit Spencer.

Alors que je crois qu'il va déballer tous les cadeaux, il les désigne du doigt un par un et explique :

- Là, c'est un camion de pompier. Ici une clinique vétérinaire pour chats.

Il m'adresse alors un sourire amusé terriblement séduisant et je l'écoute avec attention.

- Puis un jeu de société. Ici, c'est une sorte de chien mécanique. Là, c'est un genre de livre illustré et le dernier au bout c'est un petit drone télécommandé. A droite, on a un atelier de poterie, une poupée Vaiana, un autre jeu de société où il faut sortir d'une jungle terrifiante, plaisante-t-il. Et, celui-ci c'est la peluche licorne que tu avais avec toi.

- Wahou !, dis-je impressionnée. Tu as une excellente mémoire.

Il s'apprête à répondre avant de se raviser.

- Mémoire photographique ?, proposé-je.

Mais Spencer préfère se pencher et attraper des rubans dans une boite pour commencer à décorer ses paquets. Je le regarde faire alors que son comportement m'intrigue. Personne ne le connaît ici. Il débarque avec sa gentillesse et sa bonne humeur, ainsi que des muscles à faire pâlir les autres bénévoles masculins. Je l'ai vu déplacer des piles de jouets aussi hautes que moi sans le moindre effort et pourtant, lorsqu'on commence à lui parler, il semble se refermer comme une huître.

Nous avons tous nos raisons d'être ici, certaines sont plus ou moins avouables. Aider les autres me donne moins mauvaise conscience d'abandonner ma propre famille et ainsi je n'ai pas à penser au fait que je m'ennuie terriblement en compagnie des seuls êtres qui me connaissent vraiment.

Comme Spencer, j'aime rester dans mon coin. Et si ce n'est quelques remerciements qui lui ont été adressés, je ne l'ai vu discuter avec personne.

Je détache un nœud rose collé à la poche de son treillis et le pose sur le paquet de la poupée Vaiana.

- Voilà, erreur corrigée, s'exclame Spencer.

- Tu ne pouvais pas savoir, dis-je en reprenant mon calepin. Ça fait 127 paquets pour aujourd'hui.

Une signature en bas du bon que je transmets ensuite au chauffeur qui attendait à l'entrée du hangar. La réception du 24 n'aura pas lieu dans ce lieu de stockage immense et froid mais dans une salle de l'hôtel de Ville, comme chaque année.

- Ça en fait beaucoup, souffle-t-il.

Et j'entends au ton de sa voix qu'il le déplore. Quand certains enfants trouveront une dizaine de cadeaux à ouvrir sous le sapin, d'autres n'en recevront qu'un. Ça fait partie de ces choses que je ne comprends pas et qui me révolte. L'injustice me fait mal, physiquement et si je ne peux pas y remédier alors comme beaucoup de gens, je préfère fermer les yeux.

Hochant simplement la tête pour acquiescer, je serre entre mes doigts le pauvre stylo BIC 4 couleurs et tourne des talons pour aller poser mon bloc-note sur la table.

Et dire que tout ça n'est avant tout qu'une fête commerciale. Pourtant, les enfants sont les premiers touchés lorsqu'il n'y a pas de quoi leurs redonner le sourire.

- Au moins, ils ne repartirons pas les mains vides, essayé-je de positiver.

- Pour ceux qui ont la possibilité de se déplacer.

- On a des mini-bus qui font le tour des foyers, expliqué-je. On essaie de s'organiser pour inviter un maximum de personnes.

- Tu as l'air de connaître ça par cœur... Est-ce que tu...

Il ne termine pas sa phrase et je me retourne pour l'interroger. Mon regard trouve le sien et ses grands yeux bleus pétillent à la lumière des néons au-dessus de nos têtes. Il arque un sourcil et je finis par comprendre :

- Ah !, rié-je en secouant la tête. Non.

Des yeux, je fais le tour de l'entrepôt maintenant bien vide et explique :

- Non, je n'ai jamais eu à venir ici pour recevoir de beaux cadeaux.

Je plonge mes mains froides dans mes poches et shoote dans quelques morceaux de papier qui traînent au sol.

- Mais ma mère nous emmenaient tous les ans, mon frère et moi. Et je crois... enfin maintenant c'est comme un réflexe, tu vois ?

Je relève la tête pour à nouveau plonger mon regard dans le sien. Il me sourit tout en se rapprochant, soufflant son haleine chaude sur mes lèvres. Tout se condense autour de nous alors que l'air se glace. Mon corps est anormalement chaud lorsqu'il me répond :

- Je vois tout à fait ce que tu veux dire.

Love WarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant