J'épouste mon jean et recoiffe ma masse de cheveux bruns avant de remarquer qu'il ne cligne pas.
Le sapin éclaire presque tout ce côté du hall. Les lumières sont d'un blanc pur et presque aveuglant.
- C'est pas mal, soufflé-je, les mains sur les hanches.
Spencer reste muet, les yeux plissés, sourcils froncés. On dirait qu'il cherche une led défectueuse dans la centaine d'ampoules que compte la guirlande.
Je ne me cache pas lorsque je l'observe. Parfois, Spencer semble être si loin, si concentré. Il est hypnotisé par le clignotement cyclique et j'hésite à passer une main devant ses yeux pour le sortir de sa transe lorsqu'il souffle tout bas :
- Ça doit faire 7ans que je n'avais pas vu un sapin de Noël, confesse-t-il.
- Est-ce que... c'est un regret ?, osé-je l'interroger.
Il hausse les épaules, toujours sans tenir compte de ma présence, comme s'il n'avait jamais pris le temps d'y réfléchir.
- Apparemment pas, conclue-t-il, puisque je suis ici avec vous plutôt qu'avec ma famille.
La difficulté que c'est de communiquer avec les personnes qui devraient nous être les plus chères, je peux parfaitement la comprendre. Mon regard se perd tout autour de la salle alors que nous sommes peu nombreux aujourd'hui. Spencer et moi sommes les seuls à revenir tous les jours. Certains apportent des cadeaux, d'autres des boissons, d'autres des décorations mais personne ne s'attarde plus que nous. Sans aucune arrière pensée, j'attrape sa main et la serre en lui souriant :
- Si l'on considère que c'est une fête basée sur la générosité et le partage, je pense que tu es au bon endroit. Tu as eu raison de nous rejoindre. Ton aide est la bienvenue.
- Peut-être.
Pour la première fois, son visage est triste. Il s'éloigne pour aller chercher une boite de décorations. Son regard me fuit alors que je le rejoins puis il s'efface quand je cherche à m'approcher et retourne près du sapin pour y accrocher une première boule dorée.
- C'est la première année que mon unité est rapatriée pour Noël.
Je ne dis rien. Maintenant, je n'ai plus de doute. La médaille, le treillis. Spencer est militaire. Savoir d'où il revient m'importe peu. Ce que je voudrais savoir c'est combien de temps il compte rester parmi nous.
- Quand on a atterri, tous les autres se sont empressés d'aller rejoindre leur famille.
- Mais pas toi.
Il pose enfin les yeux sur moi comme si j'étais en mesure de le juger et que je devais lui dire quoi faire ensuite.
- Je comprends..., commencé-je en faisant le tour du sapin pour accrocher une guirlande dorée et bleue. Au début, on essaie de faire le maximum pour que notre famille et nos amis nous comprennent et acceptent nos choix.
Spencer me rejoint et pose une main sur la mienne pour m'arrêter dans mon élan alors que j'accroche des boules très aléatoirement aux branches en plastique.
- Mais c'est si loin de leur propre conception de la vie, terminé-je en le regardant droit dans les yeux et en pensant à mon frère et à sa petite famille parfaite.
- Exact.
Ensemble, nous levons nos bras droits et, les doigts entrecroisés, Spencer et moi accrochons une étoile surmontée d'un ange.
Pour convaincre ma mère que je n'avais pas perdu mon adolescence le nez plongé dans les livres, je l'ai abonnée durant une année au magasine pour lequel je travaille. D'une certaine façon, je pensais la rendre fière de moi mais elle n'a jamais compris ce qui m'anime vraiment, mon besoin vitale de m'isoler pour rêvasser, m'éloigner de cette réalité qui ne me convient pas.
VOUS LISEZ
Love War
RomanceClay ne croit pas en l'amour, sauf celui qui est décrit dans les livres qu'elle dévore. Critique littéraire pour un grand magazine féminin, elle se perd dans la fiction et s'éloigne peu à peu du monde réel. Heureusement, il y a une tradition dans sa...