Je sais qu'il s'agit de ma seule chance pour retrouver ma liberté. Je ne connais pas son fils mais je ne pense pas qu'il soit comme son père le décrit, avec un père pareil on ne peut pas être aussi sensible qu'il le dit. Comme on dit tel père, tel fils. Mon interlocuteur me tend sa main pour sceller le pacte. J'hésite, mais finis par lui serrer la main à regret. Il me jauge du regard, puis se lève et me dit de le suivre. Je ne sais pas à quoi m'attendre peut-être qu'il a préparé une embuscade, peut-être que la famille de Joseph est au courant que je suis de retour. Je le suis, méfiant, mais dehors il n'y a rien, seul le bruit de nos pas sur le graviller résonne, la lune nous éclaire alors que nous traversons la cour et nous dirigeons vers les portes principales du château. Une fois à l'intérieur du hall, je peux admirer toute la richesse des lieux : les lustres en cristal de plusieurs mètres de hauteur, les tableaux de grands peintres, le sol en marbre. Le roi me préviens qu'il va chercher Hanya et il disparaît par une porte sur la droite. Je ne n'ose pas bouger, alors je me contente d'observer. Quelques minutes plus tard, il revient avec une jeune fille de mon âge, qui je suppose doit être Hanya. Elle se présente, et j'avais vu juste, elle m'explique qu'elle est la servante de Monsieur le Prince depuis maintenant cinq ans, et qu'il est tout à fait sympathique. Une fois les présentations faites, le roi lui demande de me conduire à mes appartements, avant de s'éclipser. Elle monte le grand escalier en bois qui nous faisait face, et prend le couloir de gauche, puis celui de droite, et à nouveau celui de droite. Je la suis tant bien que mal. Je ne sais pas si j'arriverai à retrouver ma chambre tellement il y a de couloirs différents. Quand elle ouvre la porte de ma chambre, ou devrais-je dire appartement, parce que sérieusement je n'ai pas besoin d'autant de place. Rien que la chambre est trois fois plus grande que mon repère complet. Je ne comprend pas que le roi puisse se permettre de vivre dans des conditions pareilles, alors que dehors le peuple est dans la misère. Même s'ils ont un toit, les maisons du village ne sont plus aussi bien entretenues qu'il y a deux ans. Je sors de mes pensées quand Hanya ouvre une porte sur la droite et me fait entrer. Il s'agit d'une salle de bain, la baignoire est immense, le carrelage blanc est parsemé de tache or, et je pense avoir assez de savon jusque là fin de ma vie avec tout ce qu'il y a. Je ne dis rien, et cela semble inquiéter la jeune fille qui m'accompagne.
- Tout va bien ? Tu n'as pas l'air à l'aise.
Le silence lui répond, mais elle ne semble pas sans méprendre.
- Je vais y aller, si tu as besoin de quoi que ce soit appelle moi.
Je ne lui répond pas, et elle quitte les appartements qui sont désormais les miens. Je retourne dans la pièce principale où se trouve le lit. Il fais quatre fois la taille de celui que j'avais chez mes maîtres, et trois fois celui que j'avais au repère. Je m'allonge sur le matelas, et je suis subjugué, je ne pensais pas qu'un matelas pouvais être aussi souple et moelleux. Je me dis que vivre chez le roi est un privilège, mais je me sens prisonnier ici. Ma liberté est plus importante, que le luxe. Quelqu'un frappe à la porte et Hanya entre. Elle m'informe que le repas est prêt, et que j'y suis convié pour rencontrer le Prince. Je me relève et la suis, elle me guide à travers le château, et nous arrivons dans une salle immense, le couvert y est mis, le roi est attablé, mais je ne vois pas son fils. Le roi est en bout de table, et Hanya me demande de m'installer à une des places qui sont l'une en face de l'autre. Je m'assois, et je suis fier, je suis assis à la table du roi. Un jeune homme fait irruption dans la salle, il est petit et chétif, ses cheveux ébène sont mal coiffés et ses yeux bleus transpire la peur. A ma grande surprise, il s'assoit en face de moi. Je pensait qu'il s'agissait d'un serviteur, mais visiblement, c'est lui que je dois rendre "homme".
- Excusez moi mon père.
Il ne regarde pas son père, il en a clairement peur. Ses yeux sont tristes et apeurés, et je me dis qu'il ne doit pas avoir une vie évidente. Il a l'air tellement différent de son père. Sa mère ne doit plus être de ce monde, mais je ne pose pas la question. Les plats nous sont déposés et je me dit que je n'arriverais jamais à manger tout ça. Chez mes maîtres je n'avais presque rien à manger, et dans la forêt je devais chasser pour me nourrir et faire du feu pour cuire la viande, alors autant dire que je ne mangeais pas autant que ce qui est présent dans mon assiette à cet instant. Néanmoins ça a l'air délicieux. Personne ne parle, et je vois que le père et le fils ont tous deux commencés à manger, enfin même si le fils n'a pas l'air d'aimer vu la grimace qu'il fait. Je ne fais aucun commentaire et porte la fourchette à la bouche. Je dois sûrement faire une tête assez bizarre puisque le roi me demande si j'aime, et m'indique qu'il s'agit de volaille accompagnée d'une purée de groseilles. Ce n'est pas mauvais mais je n'ai vraiment l'habitude de manger ce genre de chose. Je porte une deuxième fois la fourchette à ma bouche, alors que le roi engage la conversation.
- Ali je te présente mon fils, Nassim. Nassim, il va t'aider à devenir un homme.
Nassim ne relève pas les yeux de son assiette, et continue de manger, comme si il faisait abstraction des paroles de son père. Or je vois bien que ça le touche, à la manière dont sa main tremblote alors qu'il porte sa fourchette à sa bouche.
- Ali je suis désolé mon fils est vraiment un mauvais exemple. Nassim réponds moi s'il te plaît !
Le ton monte, et je ne peut que regarder Nassim se renfermer sur lui même, et se tasser, un peu plus qu'il ne l'était déjà, sur sa chaise.
- Ce n'est rien, il a le droit d'être timide, nous ne nous connaissons pas.
J'essaie de rattraper le désastre de se "dîner de présentation" comme je peux, mais ça ne semble pas marcher au vue du regard que lance le roi à son fils, et le fait que ce dernier va bientôt se retrouver sous la table, à force de vouloir disparaître.
- Timide ?! Non ! Un souverain n'est pas TIMIDE ! Réagis au moins petite merde que tu es ! Je n'arrive pas à croire qu'une merde comme toi ais réussi à m'enlever une femme comme elle. Elle au moins elle était forte. Sale merde tu es responsable de sa mort, et tu ne fais rien pour l'honorer.
Maintenant je sais pourquoi sa mère n'est pas là, et je sais aussi que son père le tient pour responsable de sa mort. En revanche, je comprend pas comment on peut haïr son fils à un tel point, et le traiter comme un chien, alors qu'il est la chair de notre chair. Je n'ai pas le temps d'esquisser un geste ou de dire quelques choses, que Nassim se lève en larmes et fuit cette table. Le regard qu'il me lance me fait froid dans le dos. On dirait qu'il serait prêt à tout pour ne pas revoir son père, et ré-entendre ses paroles plus que blessantes. Son père le détruit à petit feu, et lui ne dit rien, ne se rebelle pas. J'ai l'impression qu'il est convaincu d'être responsable de la mort de sa mère, autant que son père l'est, peu importe ce qu'il a fait. Je sais que ma liberté ne sera pas si facile à retrouver, mais je ferais tout ce qui m'est possible pour y arriver. Le roi s'est rassit, et à recommencer à manger comme si rien ne s'était passé et que son fils ne venait pas de quitter la table en larmes par sa faute. Il me lance un regard, et j'y lis de la fierté. Il est fier de faire souffrir son fils.
- Promet moi de faire quelques choses de mon fils.
Il me demande ça, mais je vois bien qu'il le dit à contre cœur, parce que une fois que Nassim lui tiendra tête, il perdra son emprise, et donc son plaisir. Je le jauge du regard, devant ma non-réponse, je vois la panique dans son regard, et je suis fier de lui faire peur comme ça. Je soutient son regard et répond :
- Évidemment.
Je réponds sèchement pour lui montrer que je n'ai pas peur de lui, il fini par baisser le regard le premier, je reprend alors mon repas là où je l'avais laisser quelques minutes plus tôt. Je me repasse la scène en boucle, et je me dis que jamais mon père n'aurais fait une chose pareille, lui il s'est sacrifié pour que je vive. "Je ne vis que pour ma famille" me répétait-il souvent.

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Yamataï [bxb]
Genç KurguAli, fils d'esclaves. Nassim, héritier au trône de Yamataï. L'un est un rebelle qui vit sa vie comme il l'entend. L'autre est soumis à son père, un roi sans pitié. L'union de ces deux âmes pourrait bien changer le destin du peuple de Yamataï. BxB Sc...