Chapitre 1 : Départ

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Une silhouette se dressait seule sur les marches du bâtiment en pierre. La capuche rabattue bien bas sur sa figure, Sheireen attendait patiemment que les autres arrivent. La nuit se faisait vieille, mais le soleil lui laissait encore un peu de sursis. Que pouvaient-ils bien faire ? Les ordres étaient clairs pourtant, ils devaient quitter la ville avant que les habitants ne se réveillent.

Devant elle s'étendait Liodas, capitale de Zalia. Immense et tentaculaire, elle accueillait le palais royal où vivaient Sa Majesté et sa famille. Découpée en trois parties, la cité gardait en son sein le palais ainsi que ses jardins, au centre, ensuite venaient les quartiers bourgeois et les commerces, puis on trouvait la plus grande partie, celle où vivaient les plus pauvres.

Depuis que la guerre faisait rage à la frontière avec Wesiria, la ville s'était étendue, débordant de ses murailles, grignotant doucement les terres autour d'elle. Comme un monstre avalant de plus en plus d'âmes, elle attirait par l'espoir qu'elle représentait. Pourtant, la désillusion arrivait rapidement, comme une brique tombant sur la tête de ces pauvres rêveurs. En temps de guerre, c'était même un mur entier qui leur fracassait le crâne.

— Où sont les autres ? demandait quelqu'un dans son dos.

La porte claqua alors que le jeune homme se plaçait à ses côtés. Il n'avait pas rabattu sa capuche, laissant ses cheveux blonds s'agiter dans le vent nocturne.

— En retard.

— Ça commence bien, râlait-il.

Il pouvait bien dire ce qu'il voulait, le fait est qu'il était, lui aussi, en retard. Certes moins que les autres, mais tout de même. La jeune femme remarqua qu'il n'avait pas boutonné sa cape, révélant à la lumière de la lune tout son attirail. Il portait le même équipement que Sheireen, plastron en cuir, vêtements sombres et, surtout, épée de très bonne facture.

Peut-être que son regard avait été assez équivoque, à moins qu'il ait eu un éclair de lucidité, mais son compagnon de route ferma sa cape et se couvrit la tête. Au même moment, les grandes portes grincèrent dans leur dos.

Les trois retardataires ne s'excusèrent pas, l'un d'eux se frottait même les yeux, comme s'il venait seulement de quitter son lit, ce qui était surement le cas, connaissant le plus jeune du groupe.

Ils étaient enfin cinq sur les marches du grand bâtiment où ils s'étaient entrainés spécialement pour cette mission. L'Académie, comme aimait l'appeler la directrice, l'industrie à soldats, lui conviendrait mieux comme nom. Avec la guerre, les élèves étaient bien moins entrainés avant de rejoindre le front, pour y mourir tout aussi rapidement.

Heureusement, ou peut-être pas, pour nos cinq aventuriers, leur destin les guidait vers un tout autre chemin. S'ils arrivaient à revenir vivant de cette mission, ils seraient sacrés dragonniers.

Mais pour le moment, ils n'étaient que cinq avortons, dont deux bâillant à pleine bouche, sur le point de partir à la rescousse de la précieuse héritière de Zalia.

— Allons-y, et tâchez de vous réveiller un peu, disait le blond.

— Léarco s'autoproclame chef de groupe du coup ? demandait le cadet.

— Seth, il n'y a pas de « chef », soupirait Oma.

La jeune femme était surement la plus âgée et la plus sensée du groupe. C'était aussi celle qui avait surpassé tout le monde aux épreuves les ayant menées jusqu'ici.

Sheireen soupira. Seth était son frère adoptif, et elle se souvenait que trop bien de lorsqu'elle avait découvert qu'il l'avait suivi jusqu'à Liodas.

~

La jeune elfe marchait depuis quelques jours d'un pas décidé. Elle était en colère, mais la culpabilité venait aussi lui brouiller l'esprit. À plusieurs reprises, Sheireen avait hésité à faire demi-tour, pour aller s'excuser, pour leur dire au revoir de la bonne manière. Mais elle était butée, elle ne dévierait pas de sa route.

Le temps avait été propice au voyage, enchainant belle journée sur belle journée. Son sac rempli tapait contre sa hanche de façon joyeuse, rythmant sa marche. La jeune fille avait emporté quelques habits et provisions, son arc ainsi que quelques flèches et l'épée de son père. Elle voulait le rendre fier. Elle participerait à la fin de cette guerre, puis reviendrait voir Seth. Il l'écouterait raconter ses aventures, ses combats, ses victoires. Du moins, c'est ce qui était prévu.

Les différentes nuits passées à la belle étoile lui avaient fait un bien fou. Elle ne se réveillait plus entourée de planches comme déjà six pieds sous terre, mais caressée par les rayons du soleil traversant les feuilles vertes des arbres qu'elle choisissait pour dormir.

Évidemment, elle exagérait. La cabane de sa mère adoptive n'était clairement pas la plus petite du village. En sa qualité de chef du village, la femme avait même eu le droit de construire sur le plus grand chêne que comptait l'endroit.

Pourtant, un matin, alors que Liodas était déjà en vue, Sheireen se réveilla à la voix de son frère.

— J'ai préparé le petit déjeuner, dit-il tout sourire.

— Que fais-tu là ? demanda-t-elle.

— Je vais à Liodas pour devenir soldat, répondit-il comme si c'était évident.

— Tu te fous de moi ? Et qu'a dit maman ?

— J'ai laissé une lettre. Et ton petit coup d'éclat m'a bien aidé, tu sais. Elle a passé la nuit avec les membres du conseil, ça m'a permis de partir en douce.

Sheireen se passa une main sur le visage, déjà fatiguée. Seth n'en ratait pas une. Et puis, pourquoi voulait-il toujours faire la même chose qu'elle ? Il n'allait réussir qu'à se faire tuer... Ça y est, elle se mettait à penser comme sa mère. C'était d'ailleurs plus ou moins ce que la femme lui avait dit lorsqu'elle était partie.

Au moins, il n'avait pas fait de mauvaises rencontres sur le chemin, c'était déjà ça.

— J'ai rencontré un magicien en te rejoignant, disait le jeune homme aux cheveux bleu clair. Sévrar qu'il s'appelait. Il avait mon âge et allait aussi à Liodas. Je lui ai proposé de faire la route ensemble, mais il a refusé.

— Et pourquoi donc ?

— Il était à cheval, nous l'aurions ralenti et il semblait pressé.

Sheireen devait bien le concéder, la nourriture de son frère lui avait manqué. Seth était un excellent cuisinier.

— Il faudra envoyer une lettre à maman lorsqu'on arrivera, pour la rassurer, changeait de sujet la jeune femme.

L'autre acquiesçait avant de se lever.

— Allons-y alors.

Le lendemain, ils étaient à la capitale et se présentaient pour entrer à l'académie.

~

— Sheireen ? Qu'en penses-tu ? demandait la brune du groupe, sortant Sheireen de ses souvenirs.

— Je pense, Églantine, que vous devriez tous la fermer le temps qu'on sorte de la ville.

Sharaka - Tome 1 : ZaléniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant