- Bon, on va procéder à la deuxième partie de l'examen. Tu veux bien te déshabiller ?
J'hochais lentement la tête avec fatalité. Ce n'était pas comme si nous avions le choix. Je détestais ce moment embarrassant des visites médicales qui ne semblait jamais finir. Je me levais avec flegme et entamais d'enlever ma jupe. Quelques secondes ensuite, j'étais en sous-vêtement sur la balance médicale. Un scanner bleu me scanna de haut en bas.
- D'accord, parfait. Rien à signaler à ce niveau-là, dit-elle en examinant les chiffres indiqués sur sa tablette. Tu peux descendre.
J'avais commencé à manger plus que nécessaire ces derniers temps, bien que les placards de l'appartement n'étaient jamais pleins. Mon corps avait pressenti que le décès imminent de mon grand-père allait déclencher un cataclysme dans mon cercle familial. Mon cerveau avait mis en place un système de défense afin de pouvoir l'affronter. C'était la raison pour laquelle la balance n'avait pas affiché un poids inférieur à la norme réglementaire qui était attentivement contrôlée par la médecine.
En effet, la population était sujette depuis plusieurs années à une baisse importante de poids à cause des rations alimentaires mise en place par l'Etat. Ils n'avaient pas anticipé que la croissance démographique allait faire exploser le développement urbain bien plus rapidement que prévu. Celui-ci avait peu à peu dévoré les terres agricoles et les vivres du pays avant qu'une alerte générale retentisse : la première famine nationale du 22ème, en 2103. Les terres arables avaient peu à peu disparu avec les décennies, pour ne laisser place qu'aux prémices d'un désert stérile.
Depuis, des rations alimentaires strictes étaient imposées par foyer. Les achats au sein des grandes surfaces de distribution étaient contrôlés et soumis à un inventaire. Inutile de chercher à frauder. Certains avaient été expulsés de tous les supermarchés du pays pour quelques légumes cachés sous les vêtements.
- 1m71, indiqua ensuite l'infirmière tandis que son instrument de mesure m'intimait de rester bien droite contre le mur. Très bien. On va passer à la dernière étape, tu peux aller t'allonger.
Elle me désigna la table d'examen d'un geste du doigt. Je connaissais la chanson par cœur. Je m'y asseyais quelques secondes ensuite avec appréhension. Pourvu que mon asthme n'ait pas encore gagné du terrain.
Elle commença par prendre ma tension tandis que je regardais le plafond blanc nerveusement. Elle me demanda ensuite de m'allonger pendant qu'elle appliquait son stéthoscope high tech gelé sur mon corps. De petites lumières mauves apparurent près de mes poumons. Je tremblais légèrement.
- Inspire et expire fort, demanda-t-elle pour la seconde fois en fronçant les sourcils.
Je m'exécutais en jetant des coups d'œil inquiets à l'expression de son visage. Elle paraissait agacée. Mon cœur s'emballa légèrement. J'avais l'impression que cet entretien n'allait jamais se terminer.
- Bon, s'exclama-t-elle après de longues minutes. Il faut faire des examens complémentaires.
- Quoi ? m'insurgeais-je en me relevant. Comment ça ?
- Tes capacités respiratoires semblent beaucoup plus élevées que l'année dernière. Ce qui est totalement anormal étant donné que les patients atteints d'asthme pulmonaire ne peuvent en guérir. C'est une maladie chronique.
Je restais un moment silencieuse. Je ne comprenais pas un mot de ce que l'infirmière me disait. Je savais seulement qu'il était impossible que je fasse des examens poussés dans un autre hôpital que celui autorisée par la base. La panique m'envahit.
- Je préfère te prescrire un rendez-vous avec un confrère spécialisé à l'hôpital Saint-Antoine, poursuivit-elle. Simplement pour vérifier que tout va bien, ne t'inquiète pas.
Je lus son déroutement à travers ses yeux bruns, bien qu'elle affichât à présent un sourire qui se voulait rassurant.
- Je ne comprends pas, intervins-je désespérément afin de trouver une solution pour éviter ce rendez-vous. Si je guéris, c'est bon signe, non ? Inutile d'aller consulter un médecin.
- Emma, répliqua-t-elle d'une voix autoritaire. Il est impossible de guérir de cette maladie, même avec le traitement que tu prends.
J'étais à court de réponse. Je comptais sur mon père pour résoudre cet incident comme il avait plusieurs fois su le faire au cours de ma vie. Une conversation aimable et polie accompagnée d'arguments réfléchis avaient déjà fait l'affaire. L'infirmière n'osait jamais le contredire quand il exposait le nom de notre médecin référent : Docteur White, une légende du corps médical. Mais quelque chose me dit que cette fois était différente. Je n'avais jamais vu un trouble aussi profond chez Madame Cavell.
J'essayais de me reconcentrer. Il ne fallait pas qu'elle comprenne l'effroi qui m'avait submergée. Elle se dirigea vers son bureau et tapa plusieurs informations sur son clavier. Je me rhabillais avec maladresse et précipitation.
- Voilà, dit-elle quelques secondes ensuite. Le message a été transmis à l'hôpital Saint-Antoine. Mon confrère te recontactera dans les plus brefs délais pour prendre rendez-vous.
- D'accord, répondis-je fatalement.
Mes doigts tremblaient légèrement tandis que je tentais de reboutonner ma chemise en coton. Je me dirigeais en vitesse vers la porte de sortie.
- Ne t'inquiète pas, Emma, assura-t-elle ensuite une fois à ma hauteur. Je suis certaine que tout se passera bien.
Je ne répondis pas. Elle ouvrit ensuite la porte avec un sourire qui sonnait faux et je disparus en une seconde.
De retour dans le couloir désert, je respirai un bon coup. Inutile de s'inquiéter, mon père allait tout arranger. Je me répétais inlassablement ces mots en silence le long du trajet jusqu'à mon cours. J'avais les mains moites. Arrivée au dernier étage, j'aperçus les élèves sortirent un à un de la pièce. Je regardai ma montre électronique : 12h11. Ils se dirigeaient tous vers le self.
J'aperçus les cheveux blonds de Baptiste quelques minutes ensuite. Je me précipitais vers lui. Il discutait avec Sofia en souriant. J'eus un léger pincement au cœur en les regardant. Mais je chassais rapidement ce sentiment de mon esprit. J'avais toujours eu du mal à partager Baptiste.
- Ah, enfin ! s'exclama-t-il en m'apercevant. Comment ça s'est passé ?
- Très bien, mentis-je en évitant de le regarder trop longtemps dans les yeux.
Il jeta un coup d'œil autour de lui. Le couloir se vidait de seconde en seconde. Nous nous retrouvâmes rapidement seuls.
- Tu es sûr ? demanda-t-il ensuite avec sérieux.
Nous nous dirigions à notre tour vers le self qui se trouvait au rez-de-chaussée de l'immense bâtiment. Je marchais lentement. La visite médicale m'avait coupée l'appétit.
- Oui, assurais-je en dévalant les marches du premier escalier. Elle trouve que je respire mieux.
Je savais que Baptiste n'y connaissait rien non plus à la médecine. Inutile donc de préciser que ce point était anormal et que je devais me rendre rapidement à l'hôpital. Je ne voulais pas l'inquiéter, et de toute façon, il m'était interdit d'en parler.
- Parfait ! dit-il avec enthousiasme. Tu vas peut-être pouvoir reprendre l'escalade.
Je réfléchis un instant à cette option. Mais je n'eus pas le temps d'y penser davantage.
Soudain, le sol se mit à trembler violemment sous nos pieds. En une fraction de secondes, une secousse me projeta un mètre plus bas. Un instant de lucidité et mon corps heurtait brutalement les marches du sixième étage.
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Transmis
AdventureL'humanité, éternellement adaptée à son environnement, n'a pas su stopper la croissance démographique ces cent dernières années, ni sa cupidité. Emma a grandi sur Terre, dans une famille parisienne aimante et aisée du seizième arrondissement. Lors d...