- Le passage des visites se fera par ordre alphabétique. Mademoiselle Abby, vous êtes la première. Vous savez où se trouve l'infirmerie ?
Celle-ci se leva fébrilement. Elisabeth Abby était connue pour ses excès d'euphorie lors des fêtes organisées par l'école ou entre élèves. Difficile à croire quand on observait ses impeccables cheveux blonds tirés à quatre épingles et son rouge à lèvre Lancôme parfaitement appliqué.
- Bien sûr, assura celle-ci pour donner le change.
Elle disparut quelques secondes ensuite dans un silence glaçant. On aurait pu entendre une mouche voler entre ces quatre murs. Je m'aperçus rapidement que cette journée n'allait pas être celle que j'avais espéré.
- Vous l'avez compris, Monsieur Arnault. Ça sera ensuite votre tour.
Il hocha la tête sans un mot. Baptiste n'avait pas de raison de s'inquiéter. Il avait toujours bénéficié d'une santé de fer. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il faisait parti des rares élèves autorisés à pratiquer un sport de compétition.
- Bon, se ressaisit ensuite la professeure. Reprenons maintenant où nous nous étions arrêtés la semaine dernière. Ouvrez tous vos ordinateurs et rendez-vous directement à la page 46 du diaporama « Batterie en lithium ».
Puis, l'heure s'écoula. Baptiste avait disparu à son tour lorsqu'Elisabeth était revenue une vingtaine de minutes ensuite, aussi pâle qu'un cachet d'aspirine. Je tentais de me concentrer sur les informations données par Madame Maurel concernant la capacité maximale ou l'autodécharge des accumulateurs en lithium., bien difficilement. Les élèves défilèrent inlassablement dans la salle. La plupart affichait un visage rassuré, mais quelques exceptions revenaient silencieusement en tremblant.
- Mademoiselle Etten, s'exclama soudain la professeure. C'est à vous.
Je me levais avec maladresse. Je croisai le regard d'Emmanuelle Eimar qui m'avait précédé à l'infirmerie en quittant la pièce. Ses yeux et son visage étaient légèrement rougis, comme si elle avait séché des larmes avant de revenir en cours. Je fermais la porte derrière moi en sortant dans le couloir désert.
Je m'y avançais en profitant du silence pour répéter dans ma tête le texte que j'avais appris par cœur au fil des années. Quel était le nom des médicaments que j'étais censée prendre régulièrement ? Les Corticostéroïdes. Et ceux qu'il valait mieux que je garde près de moi en cas de crise ? Le salbutamol ou la terbutaline. J'avais largement diminué les doses journalières depuis quelques mois car je me sentais mieux. Le médecin de la base avait autorisé ce changement. Je lui vouais une confiance aveugle. Le domaine de la santé et ses subtilités m'avaient toujours dépassée.
Seulement, mon père m'avait également enseignée une autre leçon : Ne jamais parler des pilules noires. Celles-ci lui étaient envoyées tous les mois par le médecin de l'ESO travaillant avec mon grand-père. Je devais en prendre une par jour, et surtout, ne jamais l'oublier. Mon père n'avait jamais été du genre autoritaire dans mon éducation, excepté pour ce traitement. Il disait que ces pilules étaient un remède miracle pour combattre les nouvelles maladies qui se développaient sur Terre du fait de la montée des germes résistants. Mais je ne devais en parler à personne, pas même au corps médical, car leurs provenances étaient tenues secrètes par la base.
L'infirmerie se trouvait au troisième étage au bout d'un couloir rosé. La direction l'avait volontairement coloré afin d'adoucir les inquiétudes des élèves. Cet effet n'avait jamais fonctionné sur moi. J'arrivai devant la porte d'entrée.
Je n'avais aucun effet secondaire avec le traitement, mais je m'étais toujours demandée pourquoi j'étais la seule de la famille à devoir le prendre. Je n'avais jamais eu de réponse claire à cette question.
Je frappais trois coups secs.
- Entrez ! entendis-je l'infirmière s'exclamer de sa voix douce.
J'entrai lentement. La pièce était comme d'ordinaire, lumineuse et ordonnée. Une légère odeur de médicaments flottait dans l'air. Madame Cavell était assise derrière son bureau blanc où y étaient déposés plusieurs piles de documents bien classés. Elle avait le visage penché sur son ordinateur, ses lunettes carrés tombant au bout de son nez fin.
- Ah, Emma, m'accueillie-t-elle. Viens, assieds-toi, je t'en prie.
Je me dirigeais vers le fauteuil renforcé du patient. Il était toujours agréable de s'y asseoir. Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de l'associer à un stress et une angoisse coupables. Je redoutais toujours qu'elle découvre l'existence des pilules dans mon organisme ou sur l'expression de mon visage. J'affichai le masque que je m'étais construite avec les années.
- Bonjour Madame Cavell, répondis-je en souriant.
- Alors, dis-moi. Comment tu te sens en ce moment ?
Je ne savais jamais ce que je devais répondre à cette question de routine. Ce n'était pas comme si j'allais lui parler de ma mère en larmes la veille, ni de ma sensation d'étouffement quotidienne. Elle m'analysait de son regard perçant tout en consultant mon dossier médical numérique.
- Très bien, répondis-je en agrandissant un peu plus mon sourire faux. J'ai seulement hâte que l'hiver se termine.
- Je te comprends ! C'est vraiment abominable ces températures. J'ai appris que ton grand-père était décédé il y a quelques jours. Qu'est-ce que tu ressens ?
Mon sourire disparu soudain. Je n'avais pas vu cette question venir. Evidemment que Madame Cavell le savait, l'information avait circulé dans tous les magazines scientifiques de la capitale. Pourquoi je n'y avais pas pensé ?
- Ça va, répondis-je tandis que son regard tentait de déchiffrer l'expression de mon visage. Je n'étais pas proche de mon grand-père.
Pour une fois, je ne mentais pas vraiment. Elle continuait à faire défiler mes informations personnelles sur son ordinateur dernier cri.
- D'accord. Si tu veux me confier quelque chose, tu sais que je suis là. Nous avons également à notre disposition un spécialiste que tu peux consulter si tu as envie de parler.
Un « spécialiste ». Inutile de prendre ces pincettes avec moi qui avais côtoyé indirectement la psychiatre de mon père toute mon enfance. Je feignais de mettre du temps à comprendre qu'elle me suggérait un rendez-vous chez le psychologue et d'être légèrement choquée en arrivant à cette conclusion.
- Oh, non merci, dis-je alors avec un air faussement apeuré. Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde.
- Comme tu préfères.
Elle arrivait au bout de mon dossier. Je devinais qu'il y été mentionné bien en évidence « Asthme ». J'avais hâte que cet entretien se termine enfin.
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Transmis
AventuraL'humanité, éternellement adaptée à son environnement, n'a pas su stopper la croissance démographique ces cent dernières années, ni sa cupidité. Emma a grandi sur Terre, dans une famille parisienne aimante et aisée du seizième arrondissement. Lors d...