Je refermai mes paupières lourdes. Le néant me répondit. Je frottais mes yeux pour tenter de me réveiller. Je n'avais aucun souvenir de mes rêves, mais je ne me sentais pas reposée. Je regardais lentement autour de moi. Une chambre simple et boisée me répondit. La veille n'avait pas été un cauchemar. Il fallait que j'affronte cette journée. Je passais une main au travers de mes vêtements, le long de mon dos, avec l'impression que les lattes l'avaient cassé en mille morceaux. Je n'avais aucune notion du temps à l'intérieur de cet arbre. De légères lumières dorées brillaient le long des murs.
Des images de bâtiments détruits et des cris de détresse résonnaient en permanence dans ma tête. Les souvenirs de la base et le bruit régulier de l'hélicoptère envahissaient mon esprit. La conversation de mon père et de ma mère dans la voiture me tiraillait sans cesse. Pourquoi étaient-ils partis ? Je songeais au nombre incalculable d'êtres humains présents sur Terre. L'idée que je les condamnais à leur propre sort en étant allongée sur ces lattes de bois me donnait la nausée. Je me demandais comment l'ESO réussissait à mener à bien ses missions sans état de conscience. Je me demandais comment les habitants de cette nouvelle communauté parvenaient à vivre en sachant le carnage qui se déroulait de l'autre côté.
Je tentai de me lever. Je m'avançais douloureusement dans la pièce. La porte était bien fermée. Rien ne semblait avoir bougé pendant mon sommeil. J'eus un instant d'hésitation en m'approchant de l'entrée. Qu'est-ce que j'étais censée faire, à présent ? Je n'allais pas restée enfermée dans cette chambre éternellement. J'inspirai profondément pour me donner du courage et ouvrai la porte.
Une étrange odeur sucrée envahit mes narines. J'entendis des bruits d'agitation au rez-de-chaussée. La présence quotidienne d'Amélie me donnait l'impression d'être surveillée. Seulement, je supposais que si je voulais survivre, je devais me plier à l'autorité mise en place depuis des années. Je dévalai lentement les marches avec vigilance.
- Emma ?
Qui d'autre ? J'atterris en silence quelques secondes ensuite dans la cuisine de cet étrange habitat. Amélie remuait un liquide orangé au sein de ce qui ressemblait à une casserole. Jusque-là, je n'étais pas si perdue. Elle semblait préparer un repas, tandis que je l'entendais fredonner une mélodie inconnue.
- Bonjour ! dit-elle avec un sourire malicieux. Je m'étonne que tu sois déjà levée. L'annonce ne commence que dans une heure et demie. D'habitude, ils ne sont pas aussi matinaux. Tu as bien dormi ?
Je tentai difficilement de masquer la fatigue sur mon visage, sans grand succès. Néanmoins, le calme de la jeune femme et son empathie m'apaisaient. J'observai des bols, des assiettes, et des couverts posés sur la table à manger. J'avais l'impression d'être dans un monde parallèle.
- Tout n'est pas si différent de chez toi, n'est-ce pas ? reprit-elle en étirant davantage ses lèvres roses. Tu verras que la vie ici n'est pas aussi terrifiante que tu le penses pour le moment.
- Nous verrons, répondis-je simplement.
J'avais du mal à me faire à cette situation. L'attitude de la jeune femme me déroutait. Elle semblait si détendue, si loin de toutes les préoccupations de la Terre, ou de ce que je ressentais. Tous les signaux d'alerte dans mon esprit se relâchaient lentement au fur et à mesure que j'analysais le potentiel danger autour de moi. Tout semblait si simple, et calme.
- Assieds-toi, je t'en prie. Je te prépare de quoi tenir pour cette journée. Peter ne devrait pas tarder à arriver.
Mon ventre gronda contre ma volonté, tandis que mes narines continuaient à renifler l'étrange odeur qui envahissait la pièce. J'aperçus de petites boules bleues déposées dans une assiette à côté de la casserole qui bouillait. Néanmoins, mon attention se tourna de nouveau sur la conversation.
- Peter ? demandais-je.
- Ton Binôme, c'est un Natif. Sa famille habite à quelques centaines de mètres d'ici, mais il va venir vivre avec nous. L'Adaptation est un passage obligé, même pour eux.
- Elle consiste en quoi exactement cette « adaptation » ?
- Il y a des règles à respecter à l'extérieur. Il n'est pas pensable de vous lâcher dans la forêt sans un apprentissage. Notre planète, bien qu'elle apporte un nouveau souffle à l'espèce humaine, est aussi sans pitié. Nous tentons de survivre parmi les catastrophes naturelles, les animaux sauvages, et une flore qui n'a jamais été domptée par l'Homme. Pour y parvenir, nous avons tracé une ligne de conduite à laquelle il faut se plier. C'est pour cela que l'Adaptation a été mise en place : pour vous apprendre à la suivre, et donc, éviter de mourir.
Voilà qui était rassurant, songeais-je avec ironie. Mes mains devinrent légèrement moites en songeant aux espèces que pouvaient bien détenir la forêt, traversée naïvement la veille. Mais cette communauté semblait avoir tout prévu. J'observais le dos de la jeune femme qui remuait nonchalamment le liquide à l'aide d'une cuillère en bois. Il me sera bien plus difficile que je ne le pensais d'échapper à la surveillance des autochtones si je voulais retourner d'où je viens.
Soudain, quatre coups secs retentirent à la porte d'entrée. Je sursautai de plusieurs centimètres, tandis que mon cœur tambourina de nouveau dans ma poitrine.
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Transmis
AdventureL'humanité, éternellement adaptée à son environnement, n'a pas su stopper la croissance démographique ces cent dernières années, ni sa cupidité. Emma a grandi sur Terre, dans une famille parisienne aimante et aisée du seizième arrondissement. Lors d...