- Toujours aussi mignon chez toi, fit Baptiste en avançant dans le hall.
Je regardais l'heure sur l'horloge du salon : 18h12. C'était bon. Il était autorisé d'allumer les lumières et le chauffage électrique. J'avais l'obligation de les éteindre sans faute à 1h du matin le lendemain. J'enclenchais le mode automatique par mesure de sécurité. Certains s'étaient fait juger au tribunal pour moins que ça.
- Tu veux boire quelque chose ? proposais-je ensuite.
- Non, c'est bon, dit-il en se dirigeant automatiquement dans ma chambre.
Mon appartement était décoré simplement. Quelques meubles et tableaux de valeur trahissaient notre statut social. Cependant, mes parents n'avaient jamais aimé le « Tape à l'œil ». Je m'attardais quelques secondes devant les photos qui trônaient sur l'étagère du salon. Toute ma famille y était représentée à son avantage. Mon père souriait même sur plusieurs d'entre elles. Je l'observais poser dans la cuisine de mon grand-père avec gêne. Il avait pris soin de coiffer ses cheveux bruns et de tailler son éternelle barbe mal rasée. Je pouvais décrypter le regard empli d'envie que j'observais sur le visage de mon père lorsqu'il regardait le sien. Mais à présent, je trouvais qu'il reflétait davantage le désespoir. Il n'avait jamais réussi à attirer son attention, ni à susciter son admiration.
Mon grand-père était un chercheur astronome renommé. Il avait dévoué sa vie à l'Observatoire Européen Austral, dit l'ESO. En tant que chef de l'équipe Pale Red Dot, il avait mené de nombreux travaux dans le plus grand secret. Cet homme aussi cérébral que glacial n'avait jamais eu la fibre familiale. Il avait préféré donner tout son amour à ses étoiles. C'est lui qui avait forcé mon père à s'engager dans l'armée contre son gré. Il disait que cela avait été pour le forger à affronter la vie et ses préjudices. Les combats et la violence avaient détruit son fils à vie.
La guerre, c'est ce que j'appelais les démons de mon père. Les cauchemars et les chutes de dépression que j'avais côtoyé toute mon enfance avaient mérité un nom. Pourquoi ne s'était-il jamais révolté ?
- Bon ! Tu viens ? entendis-je Baptiste s'impatienter.
- J'arrive !
Ma chambre n'était pas bien loin. J'y arrivais en quelques pas. Comme d'ordinaire, le lit était défait et mon pyjama trônait sans pudeur au milieu de mes nombreuses peluches de petite fille. Le garçon était adossé à mon bureau d'un air nonchalant en regardant les dessins que j'avais fait la veille. Plusieurs de mes brouillons étaient étalés un peu partout dans la pièce.
- Sublime tout ça, dit-il. Tu en feras un de moi un jour ?
- Tu rêves. Tu l'as mérité ?
- Bien sûr. Sans moi tu ne serais que l'ombre de toi-même.
- C'est ça, oui, répliquais-je en souriant. Bon, on y va ?
- Je te suis.
Je me dirigeais vers l'immense fenêtre de la pièce et l'ouvrai. Quelques secondes ensuite, j'enjambais la balustrade.
- Tu es vraiment sûre que tu veux faire ça ? demanda Baptiste avec angoisse.
- Absolument.
Je disparus de la pièce. A l'extérieur je pouvais poser mes pieds sur un bout de mur d'à peine quelques centimètres qui entourait l'immeuble. Evidemment, il y avait une petite rambarde de sécurité. Le vent et sa fraicheur me léchaient le visage. Je regardais d'un geste mes pieds. 72ème de hauteur me répondirent. Je me sentis vivante.
- Tu es folle, tu le sais ça ? bégaya Baptiste en passant à son tour une jambe à l'extérieur.
- Tu n'es pas obligé de me suivre, m'inquiétais-je subitement. J'ai des idées stupides parfois.
- C'est clair que tu es bizarre. C'est bien pour ça que je suis ton seul ami.
Il se plaqua au mur en réalisant l'altitude à laquelle nous étions perchés. L'adrénaline monta dans mon corps en quelques secondes. Je sentis mon cœur battre à cent à l'heure. Enfin. Je ne sentais plus le froid qui me paralysait de seconde en seconde.
Une échelle se trouvait à seulement quelques mètres de nous, sur ma gauche. Je longeais avec prudence le mur jusqu'à l'atteindre. Mes jambes tremblaient à me faire perdre l'équilibre.
- Suis-moi, dis-je à Baptiste. Fais attention en marchant.
Il soupira d'indignation. Je lui en faisais vraiment voir de toutes les couleurs. Je n'avais jamais vraiment compris ce qui me poussait à faire de tels actes de folie. C'était comme si je cherchais à prouver que ce monde n'était pas le mien, ou que cette vie n'était pas la mienne.
Je grimpais l'échelle avec fébrilité. J'étais terrorisée, mais j'adorais ça. Elle n'était pas longue, un mètre seulement. En quelques minutes, j'étais sur le toit de l'immeuble. Il n'y avait rien, à part d'énormes conduits d'aération hideux. Mais ce n'était pas pour ça que je venais. Je me retournai d'un geste et aperçu le labyrinthe aussi monstrueux que fascinant des sommets de Paris. Baptise me rejoignit quelques secondes ensuite. Ici, les bruits des klaxons assourdissants et les hurlements des habitants disparaissaient, pour ne laisser place qu'à un silence d'or.
Le couché de soleil commençait tout juste. A cette hauteur, j'avais l'impression de dominer la capitale tout entière. C'était ce sentiment de liberté que j'étais venue chercher il y a deux ans, lorsque j'avais découvert cet endroit magnifique. Baptiste ne m'y avait accompagné que de rares fois.
- Tu as peut-être raison, me dit alors Baptiste, tandis que nous nous asseyions sur les graviers qui parsemaient le toit.
- A propos de quoi ?
- J'ai entendu mon père au téléphone, hier soir. Il devait être avec un de ses collègues, je pense. Ils échangeaient sur les dernières négociations politiques. Il disait que les décisions prises ne servaient plus à rien. Que les politiciens n'étaient que des acteurs chargés de faire semblant de contrôler la situation pour ne pas nous affoler. Mais, ils ne croyaient eux-mêmes en rien.
Baptiste me regardait avec une tristesse rare dans les yeux. Lui, qui brillait toujours par son optimisme, semblait pour la première fois perdre foi en l'avenir. Je refusais que cela arrive.
- Beaucoup de gens le pensent. Mais, comme tu l'as dit toi-même tout à l'heure, ils vont forcément trouver des solutions.
J'avais du mal à croire en ce que je disais. Mais je savais que c'était ce que voulait entendre Baptiste. Je ne voulais pas qu'il se plonge à son tour dans un tourbillon désespéré de peur et de pessimisme. Dans mon entourage, c'était le seul qui avait toujours su s'en échapper. C'est bien pourquoi, je m'étais toujours agrippée à cette amitié, comme à une bouée de secours.
- C'est ce que je pense aussi. Mais, ils parlaient de s'enfuir, Emma. Ils s'intéressaient à la construction d'un avion hypersonique, capable d'une autonomie de plusieurs années, qui pourrait être utilisé comme bunker.
J'essayais de contrôler l'épouvante qui me saisissait. Mon père avait toujours su taire toutes les informations qui lui provenaient de l'armée, pour ne pas nous inquiéter. Jamais, je ne me serai imaginée que de telles constructions étaient en cours de conception. Si cela était le cas, l'Etat se préparait-il réellement à la décroissance de l'humanité ?
- Je refuse de croire à tout ça, reprit alors Baptiste après plusieurs secondes de silence, d'un ton plus apaisé. Les choses vont se calmer. Et un jour, toi et moi, nous verrons nos enfants grandir dans un monde de nature et de paix.
- J'en suis sûre, acquiesçais-je avec un sourire, tandis que des larmes de tristesse remontaient le long de ma gorge.
Nous restâmes un moment à contempler la virtuosité des couleurs du soleil couchant par-delà les toitures en tentant de discuter de sujets plus légers. Je ne voulais pas redescendre. Mais la nuit vint me voler cet instant.
- Je dois rentrer, dit ensuite Baptiste.
Je me résignais. Il faisait noir à présent et je savais que mes parents nous cherchaient désespérément. Je lui emboitais le pas jusqu'à l'étage inférieur.
De retour dans ma chambre, j'entendis la voix de mon père dans le salon et des bruits d'agitation. Je me dirigeais rapidement vers la porte. Celle-ci s'ouvrit quelques secondes ensuite sur une scène qui me pétrifia. Ma mère, en larmes, s'accrochaient désespérément aux bras de mon père, tel un animal en détresse.
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Transmis
AventuraL'humanité, éternellement adaptée à son environnement, n'a pas su stopper la croissance démographique ces cent dernières années, ni sa cupidité. Emma a grandi sur Terre, dans une famille parisienne aimante et aisée du seizième arrondissement. Lors d...