Chapitre 20

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Mon attention se tourna de nouveau sur la jeune femme. Il était impossible que j'avale quoique ce soit sans avoir la nausée.

- Vous vivez ici ? questionnais-je en éludant sa demande.

- Oui. Une partie de la communauté est chargée de la construction de ces habitations, afin d'assurer notre sécurité. Nous les appelons les Edificateurs. Ils se servent du bois creusé dans les arbres pour construire ensuite les meubles, les ponts et le reste des infrastructures que tu observeras au fur et à mesure des jours. Ils utilisent d'autres matériaux, bien sûr, mais ils t'en parleront mieux que moi.

Elle étira un sourire en me regardant. Mon corps s'arrêtait lentement de trembler. La température à l'intérieur de ces murs semblait plus élevée. Sans que je ne le veuille, j'étais piquée de curiosité. Comment cette population avait-elle établi son organisation et comment fonctionnait-elle ? Seulement, je ne savais même pas le but de ma venue ici. Les paroles du Docteur White restaient floues dans mon esprit.

- Moi aussi j'ai été transférée, comme toi, me dit-elle alors, après un silence.

- Vraiment ? m'interloquais-je.

- Oui, il y a une quinzaine d'années maintenant. Je sais ce que ça fait, répondit-elle avec sérieux. Mais ils m'ont sauvé la vie.

Elle m'indiqua une des quatre chaises en bois qui étaient présentes devant nous. Sans que je ne comprenne pourquoi, je décidai de lui faire confiance. Son regard caramel et son doux sourire dégageaient un sentiment d'apaisement et de sécurité. Je suivis ses indications et m'assis à ses côtés quelques secondes plus tard.

- Être Transmis, ce n'est pas une punition. C'est une véritable bénédiction, poursuivit-elle, tandis que je continuais à détailler son attitude et les traits de son beau visage. Tu le sais, au fond de toi. La Terre et les espèces qu'elle tente de supporter meurent à petit feu.

Ses paroles faisaient écho dans mon esprit. Les images du supermarché de la veille, des émeutes dans le centre-ville, et le tremblement de terre volaient à l'intérieur de ma tête. Une sensation glacée envahit mon corps.

- L'objectif de ce passage est d'assurer la pérennité de l'espèce humaine. Pour la planète Terre, il est trop tard. Alors, il y a près d'un siècle à présent, lors de la découverte de Proxima Centauri, certains membres de l'ESO se sont dévoués pour être les premiers à être transférés. Ils voulaient vérifier que cette nouvelle planète était viable pour notre survie. Depuis, la communauté a grandi, et de nouveaux transferts ont lieu tous les ans.

- Pourquoi ne pas transférer l'ensemble de la population mondiale, dans ce cas ?

J'essayais d'assimiler chacun de ses mots dans mon esprit. Je pensais à mes parents, à Baptiste, et au reste des personnes que je voyais tous les jours. Pourquoi ne les avait-on pas, eux aussi, amenés vers cette porte de sortie ? Si l'objectif était de sauver l'humanité, transférer un maximum de personnes aurait dû être une priorité. Amélie me dévisagea.

- Pour qu'ils saccagent cette seconde planète comme ils l'ont fait avec la Terre ? Les gens d'ici préféreraient détruire le passage à jamais plutôt que laisser entrer l'ensemble des terriens.

Mes yeux s'emplirent de désespoir. Il était impensable que je reste seule ici, en laissant les autres derrière moi. Amélie sembla lire la douleur qui m'envahissait en silence.

- Mais, je te comprends, reprit-elle en plongeant son regard dans le mien. Tous les Transmis ont l'envie de transférer leurs proches. Peut-être que cela sera possible un jour. Seulement, évite d'en parler à l'extérieur de cet habitat.

- Pourquoi ? demandais-je avec incompréhension.

- Il y a des divergences d'opinion dans la société, notamment en ce qui concerne l'ouverture du passage au reste de la Terre. Tous les Natifs, ceux qui sont nés sur Proxima Centauri, sont contre. Pour le moment, une majorité des Transmis le sont également. Ils ont peur que cela conduise à la mort de notre planète. Il est difficile de faire changer cette idée au sein de notre communauté. Mais, je préfère te prévenir, c'est aussi un sujet « tabou » qu'il vaut mieux éviter d'évoquer. La possibilité qu'un nombre incalculable de terriens vienne briser l'harmonie de notre société effraie la population.

J'essayais d'emmagasiner les paroles de la jeune femme. Peu importe les risques que ce choix pouvait engendrer, si cela dépendait de moi, j'ouvrirais le passage sur le champ. Il était exclu à mes yeux de rester ici sans chercher à emmener Baptiste et ma famille dans cet autre monde, ou à retourner d'où je viens. 

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