Chapitre 26

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Nous marchâmes encore une dizaine de minutes au travers de la forêt. J'essayais de ne pas trop apprécier les nouvelles sensations le long de mon corps, et dans mes poumons. J'avais mal à mes muscles, mais paradoxalement, je ne m'étais jamais sentie aussi légère qu'à ce moment. Nous ne croisâmes aucune présence humaine au cours de cette traversée. L'ensemble de la population était-il présente à l'Annonce ?

Peter ralentit le rythme quelques instants plus tard. Je n'y tenais plus. J'avais l'impression que mes jambes allaient me lâcher à tout moment. Je pestais contre moi-même de ne pas avoir insister davantage pour faire de l'exercice ces dernières années. Jamais je n'aurais pensé en payer autant le prix.

- Suis-moi, me dit alors le garçon, tandis que le murmure de conversations se répandait lentement autour de moi.

Je m'apercevais que la forêt semblait s'éclaircir au fur et à mesure que nous avancions vers le point de chute. Le soleil parvenait à traverser plus facilement les feuilles des arbres au-dessus de nos têtes, tandis que les cris sauvages devenaient de moins en moins oppressants. Soudain, je vis ce qui ressemblait à une clairière se dessiner à travers les branchages qui me barraient le passage. Je tentais de coller Peter au maximum pour ne pas me retrouver seule au milieu de la foule.

Quelques secondes ensuite, celui-ci dégagea la dernière branche de notre chemin, avant d'apercevoir le spectacle qui nous attendait.

L'impénétrable forêt faisait maintenant place à une plaine de plusieurs hectares, où une foule impressionnante se tenait avec agitation. J'avais peur de perdre mon guide parmi cette masse humaine, mais je n'osais pas le toucher. Le son d'innombrables conversations envahit soudain mes tympans. Je n'aurai jamais pensé que cette communauté représentait en réalité des dizaines de milliers de personnes. La population de Proxima Centauri me sembla tout à coup bien plus forte et intimidante que ce que je m'étais imaginée jusqu'à présent. Peter entama d'avancer lentement en nous frayant un passage au travers des regards curieux qui me dévisageaient sans gêne. Ils étaient tous habillés de la même manière végétale qu'Amélie et Peter. Le malaise s'empara de moi, tandis que je tentais de me concentrer sur le dos du garçon pour ne pas le perdre. J'avais la sensation d'étouffer au milieu de la foule.

Nous débouchâmes plusieurs minutes plus tard au centre de la cérémonie. Une petite scène en bois avait été bâtie au milieu d'un espace circulaire d'une dizaine de mètres de diamètre que tout le monde semblait laisser libre. J'y aperçus quatre personnes attendre patiemment : deux hommes et deux femmes. Je reconnus immédiatement Marc Anderson, vêtu d'un long tissu blanc descendant jusqu'aux genoux.

- Les autres Transmis sont là, m'indiqua alors Peter, en dirigeant son regard vers un petit groupe qui ne passait pas inaperçu.

Un sentiment de soulagement m'envahit. Mes yeux se posèrent tout d'abord sur leurs habits urbains, qui dénotaient du reste du cortège, et si similaires aux miens. Puis, j'observai leurs visages, aussi apeurés et angoissés que mon esprit pouvait l'être. Je me précipitais avec espoir vers eux, sans réfléchir.

Plusieurs visages se tournèrent dans ma direction, tandis que j'atteignais en quelques enjambés le groupe de marginaux.

- Transmise ? me demanda alors une jeune fille à la peau ébène, dont les traits trahissaient un mélange d'angoisse et de compassion.

- Exactement, répondis-je, risquant un sourire timide.

- Nous aussi, dit-elle en étirant ses lèvres brunes. Je m'appelle Camille Evans.

- Emma Etten.

Je plongeais mon regard dans ses yeux chocolat en amande qui ne reflétaient que la bienveillance. Derrière elle, je détaillais le groupe plus précisément. Les Transmis devaient être une cinquantaine, tous âgés entre 16 et 19 ans. Un garçon qui semblait frôler les deux mètres tourna un visage curieux vers nous.

- Moi c'est Nathanaël, s'exclama-t-il en me tendant la main. Mais, tout le monde m'appelle Nat.

- Enchantée.

- C'était qui le garçon avec toi ?

Je cherchais Peter du regard, avant de m'apercevoir qu'il avait disparu sans rien dire. Je tournais encore le visage de droite à gauche pendant quelques secondes, en constatant que mes yeux ne se posaient que sur des inconnus.

- Peter Desrives, un Natif. C'est mon Binôme.

- Pas très bavard, commenta Nat, avec désinvolture.

- Nous sommes Binômes, nous aussi, informa Camille en pointant le garçon d'un geste de la tête.

- J'aurai pu tomber sur pire, plaisanta-t-il, pour tenter de détendre l'atmosphère.

Son attitude légère parvenait à me décrisper un peu. Je me sentais mieux, au milieu de ces gens qui me paraissaient familiers. Je jetais un regard inquisiteur au reste de la foule autour de nous. Au fond de la prairie, on pouvait observer des jeunes assis sur les branchages des arbres, loin en hauteur. Mais ils étaient à une trop grande distance pour que je ne parvienne à décrypter leurs visages ou leurs attitudes.

Soudain, l'une des quatre personnes au centre de l'assemblée ouvrit ses bras en direction de la foule. Un silence de mort s'abattit immédiatement dans la prairie. Je l'analysais avec une nouvelle appréhension. Il s'agissait du deuxième homme que j'avais observé en arrivant. Celui-ci semblait être le plus âgé de ce quatuor. J'apercevais des rides cinquantenaires sur son visage vieilli par le soleil et le froid. Je ne pouvais m'empêcher de détailler sa physionomie, qui ressemblait étrangement à un lion. Ses cheveux gris s'alliaient avec un regard argent qui m'intimida instantanément.

- Bonjour à tous, Natifs et Transmis, commença-t-il par dire d'une voix rauque et imposante. Bienvenus à Proxima Centauri. 

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