Petit manège

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Ça fait quelques jours que son manège m'intrigue. Habituellement, mon radar à coquinerie est toujours déficient. C'est pourquoi j'ai mis si longtemps à remarquer certains détails. Quand je me compare aux autres nanas qui fréquentent l'endroit, on voit bien que rien ne me prédispose à entrer dans ses critères de sélection. Après tout, ce n'est pas de la bombe en petite tenue qui manque, ici.

Lorsque je pénètre dans le hall, il est de nouveau là, devisant gaiement avec le gars qui vend les tickets. Je les salue, paye ma séance de torture et récupère la clé du vestiaire. C'est lui qui me la tend. Il ne la relâche pas immédiatement, m'obligeant à relever les yeux vers lui. Sourire en coin craquant, le doute s'installe. J'ai peut-être une touche, en plus de mon ticket. Amusant.

— À tout à l'heure.

Sa voix a une belle gravité, profonde et masculine. Elle s'adresse directement à une partie très intime de mon anatomie. Celle qui ne sert pas beaucoup en ce moment...

Pas de chance, mon corps réagit vivement au stimulus ; je rougis comme une collégienne et bafouille un merci avant de me précipiter vers les vestiaires. En apparence, je suis dotée d'une belle assurance. J'avance tête haute, avec cette pointe d'arrogance qui permet de mieux cacher ma timidité naturelle.

Ce matin, ce charmant jeune homme vient de foutre à la corbeille cinq ans de confiance en soi durement acquise. Décidément, l'abstinence chez moi relève du problème métaphysique. Il ne manquerait plus que ça reconstitue mon hymen !

L'odeur de chlore me fait redescendre sur terre. Il n'y a pas un bruit, seul le frottement des vêtements que j'ôte résonne dans l'immense pièce. J'adore ce moment où on a l'impression d'être la seule debout. Cela fait des mois que je me rends à la piscine chaque mercredi matin aux aurores. Une excellente mise en condition avant d'attaquer le boulot.

Lui a intégré le poste il y a trois mois. Environ vingt-cinq ans, grand et bien bâti, mâchoire carrée et cheveux bruns, avec ce petit sourire qui fait tomber mon cœur au niveau de mon entrejambe. Un magnifique morceau de choix un peu plus jeune que moi qui approche des vingt-huit ans.

Tout à coup, je me sens vieille et sans attrait. Malgré ma belle assurance, aucun homme ne s'est manifesté depuis des siècles. J'interprète sûrement faussement son petit côté séducteur comme une marque d'intérêt. Après tout, il sert bien son numéro à toutes les femmes qui viennent ici. De 7 à 77 ans comme dirait la pub. J'ai besoin de sexe. J'ai besoin de tendresse. Je débloque, ça me rend encore plus conne. Fichu célibat !

Évidemment, je suis loin d'être la seule à l'avoir repéré. Le nombre d'écervelées paradant en itsi bitsi bikini ne cesse de s'accroître. J'ai de la chance, elles ne sont pas gênantes quoi qu'un peu bruyantes. La plupart se contentant de s'accrocher aux bords du bassin, évitant de s'aventurer là où elles n'ont pas pied.

J'ai repris contenance après un rapide passage sous la douche, et me dirige d'un pas plus posé vers le petit local abritant le matériel de natation. Devant la porte ouverte du bureau des maîtres-nageurs, ma respiration se bloque. Nonchalamment appuyé contre l'encadrement, il me reluque ouvertement. Je suis sûre que son regard se focalise sur mon cul. J'en accentue discrètement le balancement, et sens mon cœur tressauter en l'entendant expirer un peu plus fort dans mon dos. Le flirt est une religion que je prends très au sérieux. Même si personne ne veut jouer avec moi ! J'écarte rarement les cuisses, mais séduire est un passe-temps hautement addictif.

Parfois, je voudrais être plus simple, entrer dans une case bien définie. Parce que passer pour une nonne en talons, ça finit par avoir ses limites. Tout chez moi relève du paradoxe ; mentalement, je suis resté bloquée à l'adolescence, pourtant j'agis avec le pragmatisme de la femme à qui on ne la raconte plus. Je voudrais vivre une belle histoire d'amour, or dès qu'un homme s'approche, je fais ma princesse au petit pois dédaigneuse.

Une planche en mousse dans la main, je jette un coup d'œil vers les pull buoy avant d'y renoncer. Ma motivation prend un chemin assez mou ce matin. Un petit claquement annonce l'arrivée d'une autre personne. Ô surprise, c'est lui. Mon cœur fait un nouveau petit bond. On dirait celui d'une gamine effarouchée.

— Besoin d'aide ?

— Non. Merci, j'ai trouvé ce qu'il me fallait, fais-je en agitant la planche dans les airs.

— Et d'un coach ?

— D'un coach ?

— Vous nagez bien, mais il y a quelques imperfections dans votre technique. Si vous voulez un coup de main...

Toi en tout cas, tu aimerais bien un coup de langue...

J'évite de traduire tout haut ma pensée. Elle est vraiment très incorrecte. Machinalement, mes yeux s'attardent sur mon interlocuteur. C'est alors que je remarque la bosse moulée dans son caleçon de bain. Elle est immanquable. C'est qu'il est très en forme, en plus ! Je rougis de plus belle, un vrai lampion de resto chinois.

Malgré la pénombre de la pièce, il ne manque rien de la direction prise par mon regard, mais a quand même la décence de paraître gêné. Ça ne l'empêche pas de prendre tout son temps. Sa main se pose sur la protubérance et remonte lentement jusqu'à l'élastique de son maillot. Là, je déglutis sévèrement et tousse. Alerte ! Salive disparue. Je répète, salive...

Bien-sûr, je pourrais partir. Je ne suis pas une fille facile, et je crois bien que cette main "innocente" s'attarde un peu trop sur la bosse. Mais quelque chose me retient. Découvrir que je suis peut-être à son goût, par exemple. Ce n'est pas tous les jours qu'un fantasme sur pattes se retrouve à portée de main. Jusqu'à présent, il s'est toujours montré réservé, poli. Peut-être même timide, s'exprimant toujours à voix basse, comme s'il craignait que je parte en hurlant. Ce qui pourrait tout de même arriver s'il me beuglait « nage plus vite, ma grosse, sinon je lâche les requins ! ». Oui, je fais partie des générations qui ont flippé sous la douche après avoir vu les dents de la mer.

J'attends de voir ce qu'il va oser faire. Il se contente de sortir le bas de son tee-shirt floqué du sigle des maîtres-nageurs pour dissimuler ce que je lorgne sans vergogne. Membré le garçon ! Question à creuser rapidement !

Légèrement haletante, je m'avance en faisant mine de me diriger vers lui, mais dévie ma route au dernier moment, effleurant accidentellement de mes doigts la bosse prometteuse.

— Hum. Si j'ai besoin de votre aide, je n'hésiterai pas.

Son petit rire ravi accompagne ma sortie plus ou moins triomphale.

Le coachOù les histoires vivent. Découvrez maintenant