Petit debriefing entre amis

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J'arrive à mon poste les joues rougies par l'excitation, la bouche encore pleine de son goût et de sa vigueur. La journée va paraître interminable.

Évidemment, je ne lui ai pas répondu pour ce soir, faisant mon orgueilleuse en quittant la piscine, tête haute et culotte en feu. Pour l'instant, mon objectif est d'esquiver toute question gênante. Connaissant mes amis, je doute d'y parvenir avant 18h00. Rectification ; avant 9h03, c'est-à-dire dans exactement cinq, quatre, trois deux, une seconde...

— Toi, tu as fait des folies de ton corps !

Je grimace en entendant Flo balancer sa plaisanterie comme si nous nous trouvions en tête-à-tête et non dans un fichu open-space. Gagné. Des crânes surgissent autour de moi, dépassant les petites cloisons de bois. D'un bond, je saute sur mon fauteuil de bureau. Exercice hautement périlleux quand on porte des talons, une jupe droite serrée, et que le siège se met à tournoyer tel un rotor d'hélicoptère.

— Bien-sûr ! Et j'ai eu trois orgasmes avant de boire mon premier café ! Que celui qui peut en dire autant partage ses exploits en public, sinon... Assis bande de cochons !

Les uns après les autres, les crânes disparaissent piteusement de mon champ de vision. Je ne suis pas connue pour ma langue acerbe. Absolument pas. Jamais de la vie. Quelle idée ! Mais je déteste voir mon linge sale lavé en public. Mes doigts attrapent le bras de mon amie pour m'aider à redescendre de mon perchoir. J'en profite pour bien les planter dans la chair, histoire de lui signifier qu'elle ne perd rien pour attendre. Malgré un petit « aïeuuu », elle glousse comme une pintade.

Guillaume, à l'affût, nous rejoint avec des tasses fumantes. Bon. Je vais être obligée de leur faire un compte-rendu. En vérité, je sautille tellement que mes mots sont tout prêt de sortir dans un flot ininterrompu. J'entraîne mes amis à l'écart, sur la petite terrasse réservée aux fumeurs. Il n'y a personne à part nous.

— J'ai fait une énooorme connerie !

— Comme si c'était inédit !

— Merci pour cette marque de confiance Guillaume ! Tu n'es pas le dernier au concours du plus beau fout-la-honte !

— Oui mais moi, je me plante avec grand style !

Deux paires d'yeux se lèvent vers le ciel en signe d'exaspération.

— Bon alors, tu l'as revu ce matin ?

— Oh ça pour le voir, je l'ai vu. On peut même dire que j'ai fait le tour du propriétaire...

— Wowowow, une minute, tu te l'ais fait ?

— Haaan, pas vraiment...

— Je te rappelle que sucer c'est aussi tromper, rigole Guillaume, goguenard.

À ma tête décomposée, les deux poussent le même juron.

— Non ! Oh putain !

Ils continuent à commenter, presque hystériques, en crachant les questions et les réponses. Exclue d'une discussion dont je suis le sujet principal, je les regarde complètement désespérée. Je ne les connais pas, ce ne sont pas mes amis, et je n'ai jamais dit que j'avais sucé un inconnu jusqu'à lui assécher les boules ! Quel langage, Florence, je suis choquée !

Flo est la première à reprendre l'interrogatoire.

— Dis donc, il est comment ?

— Goûtu.

Là, je les achève.

— Corps superbe, gueule d'ange, tout ce qu'il faut pour me faire miauler jusqu'au bout de la nuit. Sympa en plus. Enfin... pour le peu de paroles échangées. Bref. On se voit ce soir.

— Qui es-tu, qu'as-tu fait de notre copine ? braille Florence en me secouant toute joyeuse.

— Je ne te savais pas si cochonne, Jul ! Tu caches bien ton jeu derrière tes airs bien sages...

Quelque chose de désagréable anime le commentaire de Guillaume. Comme un soupçon d'acidité. C'est la première fois qu'il désapprouve une de mes aventures sentimentales. Est-ce parce que je ne me montre jamais aussi exaltée ? Flo n'a pas tort. Ce que j'ai fait ne me ressemble pas. Bon sang, ce que ça fait du bien, et je n'ai pas envie de me censurer !

— Eh oui, il suffisait juste de trouver le bon partenaire.

Mes deux amis m'adressent un regard réprobateur. Avec eux, je fais rarement preuve de mesquinerie. Ma méchante petite remarque, clairement destinée à balayer notre relation passée, ne leur a pas échappé. Prise en faute, ma seule réaction c'est souvent l'attaque. Du coup, drapée dans mon orgueil, je hausse les épaules et retourne à mon poste de travail en jetant un bref « on se voit plus tard ».

Quelle barbe, pour une fois qu'il m'arrive un truc incroyable, ça déclenche déjà des jets de gravier dans la figure !

— Ce n'était pas très gentil.

— Je suis désolée. Je le suis vraiment Flo. Arrête de me regarder comme si cela ne me touchait pas !

— Bien qu'il soit passé à autre chose, tu es consciente qu'il a encore des sentiments et qu'il en aura toujours, même s'il sait qu'aucun retour en arrière n'est possible ?

Simple hochement de tête en guise de réponse. Je n'ai pas envie d'épiloguer sur l'amitié homme-femme entre deux ex. J'ai sûrement vécu dans l'illusion qu'elle était possible, mais il faut bien se rendre à l'évidence ; nous n'avons pas les mêmes attentes.

— J'irai lui parler.

— Hum, laisse-le digérer l'affront, c'est un grand sensible.

— Parfois je regrette qu'il ne soit pas plus endurci, comme un mec est censé l'être.

— Parfois je regrette que tu sois aussi ignorante de la psyché masculine, Jul. Si la majorité préfère se planquer plutôt que de montrer ses blessures, ça ne veut pas dire que ces dernières n'existent pas.

Notre conversation du midi tourne en boucle dans ma tête, alors que j'avance d'un pas rapide vers le bâtiment municipal. Florence a raison. Mon expérience se résume principalement à un naufrage net et sans bavure. Je suis incapable de comprendre les réactions d'un homme au-delà de quelques rendez-vous. Sans doute parce que je cherche inconsciemment à couler l'histoire avant qu'elle ne débute. Ai-je, un jour, pris la peine de m'impliquer ? Peut-être pas assez. Ça ne m'a jamais paru nécessaire. Mais si je dépasse tout ça pour Max, est-ce que lui se montrera intéressé ? Je perçois alors toute la fragilité d'une relation. On peut être sûr de ses sentiments, et malgré tout espérer vainement que l'autre les partage. Ai-je envie de me torturer en imaginant ses attentes réelles ? Est-ce que je ne commencerais pas à m'investir dans une aventure qui sent le plan cul à cent mètres ? Si, clairement. Ça confirme ce que je craignais ; j'ai beaucoup de mal à dissocier sexe et émotions.

Devant les portes en verre coulissantes, j'hésite un instant. Vais-je prendre le risque ?

Il faut croire que oui.


Le coachOù les histoires vivent. Découvrez maintenant